Le projet D’où voir s’appuie sur un processus et des notions à la fois simples et complexes : une pratique ingénue de cueillette de fleurs et de prise de vues, ainsi que la métaphore du schéma optique de Lacan qui articule le réel, l’imaginaire et le symbolique. Les images de bouquets sur fonds colorés s’inscrivent dans la continuité de ma démarche artistique entre une approche documentaire et conceptuelle, qui questionne tant nos rapports au monde, que l’image photographique.
Il s’agit de parcourir des lieux pour les photographier et y cueillir des fleurs. Arpenter d’abord les espaces, pour laisser le corps s’imprégner du territoire, voir ce qu’il nous montre de lui et de nous. Collecter par la photographie et les bouquets, des fragments de paysage, des saisissements visuels et physiques, qui convoquent nos sens et nos expériences du réel. Placer ensuite les images imprimées, ainsi que les végétaux cueillis dans des vases, pour les photographier sur un fond coloré avec un éclairage de studio.
Chacun de ces gestes évoque qui je suis. La petite fille qui faisait des bouquets pour la table du salon et qui aujourd’hui encore prend plaisir à cueillir des fleurs. La photographe qui, fascinée par ce que produisent les outils de prise de vue et d’éclairage, continue d’expérimenter les enjeux de son médium. Enfin, la personne qui n’en fini pas de se poser des questions sur son rapport au monde et sur comment on fait avec le dedans et le dehors, le conscient et l’inconscient, l’intime et le partagé.
Tout paraît alors évident : les bouquets, les plantes, les couleurs, la référence à la peinture de nature morte. Cependant, l’image qu’on se fabrique des choses racontent plus que les choses en elles-mêmes. Alors transformer ces bouquets en images, rappelle l’analogie que Lacan fait entre l’analyse et le schéma optique du bouquet renversé. Ce schéma optique est une illusion qui rassemble dans le reflet d’un miroir concave deux objets séparés, le vase et les fleurs. Dans mon travail, rien n’est séparé. La sensation d’illusion est présente par les déformations de l’arrondi du vase, l’effet loupe de l’eau, l’aplatissement de la photographie, le flottement de l’objet sur le fond et par l’étrangeté de la lumière.
De façon simplifiée pour Lacan, le réel est insaisissable, mais sans lui, il n’y a ni symbolique, ni imaginaire. Les fleurs sont nos sensations, nos perceptions, nos pulsions. Une image du réel qui échappe à la symbolisation. Le vase est l’imaginaire, il incarne le support du « moi », l’identité. Les fleurs dans le vase renvoient au symbolique, c’est le fait de regarder et nommer. Prit dans ce cône du regard, l’analysé peut voir ce qui se joue entre ses perceptions et ses projections.
Pour moi, dans ce projet :
– les fleurs figurent l’expérience du monde, une tentative de rejoindre le réel. Elles traduisent l’exploration physique d’un lieu, un geste naïf, lié à l’enfance, un fragment de paysage que l’on déplace du dehors au dedans.
– le vase avec une image représente l’imaginaire et la mémoire. Le vase contient en plus de l’eau, une photographie prise lors d’explorations où le corps et l’esprit se laissent conduire par le regard. Il s’agit de prises de vue intuitives, spontanées, qui font de l’acte photographique un saisissement où la photographe est bien plus le sujet que l’objet de son image.
– la photographie des fleurs dans le vase/image est alors le symbolique, où s’active notre capacité à fabriquer des représentations. Ce qui m’intéresse, c’est que le symbolique résonne autant avec la valeur, qu’avec le sens : des objets, des situations, des relations, … Il me permet de jouer avec le langage et les signes.
D’où voir est une continuité et une bascule dans mes recherches artistiques. Il s’agit de poursuivre mes explorations plastiques sur la fabrication de l’image, mais aussi de me remettre au centre de mon travail photographique, de suivre mes intuitions et de les accepter comme sujet. Ici, l’analyse devient un outil de travail, au même titre que les techniques de prises de vue. Elle me permet un jeu sur le simple et le complexe, l’apparence et la mise en forme, ce qui crée différents niveaux de lecture. Elle met en évidence les allers-retours entre le dedans et le dehors, tant dans la réflexion, la réalisation ou dans ce que l’image finale convoque. La mise en abyme et l’illusion sont ce qui articule ma démarche depuis longtemps et qui dans ce projet prennent corps de façon plus claire. Les images condensées et le jeu optique traduisent mon rapport au monde fait de strates où tout s’accorde, mais dont on ne peut que douter.
Projet ayant reçu l’AIC de la DRAC des Pays de la Loire, 2025.





