Fountain (Too High) & Chair (Too Big), 2005

David Michael Clarke

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David Michael Clarke, «Fountain (Too High) & Chair (Too Big)», 2005
David Michael Clarke, «Fountain (Too High) & Chair (Too Big)», 2005
David Michael Clarke, «Fountain (Too High) & Chair (Too Big)», 2005
David Michael Clarke, «Fountain (Too High) & Chair (Too Big)», 2005
David Michael Clarke, «Fountain (Too High) & Chair (Too Big)», 2005
David Michael Clarke, «Fountain (Too High) & Chair (Too Big)», 2005
David Michael Clarke, «Fountain (Too High) & Chair (Too Big)», 2005
David Michael Clarke , «Fountain (Too High) & Chair (Too Big)», 2005

Fountain (Too High) & Chair (Too Big), 2005

Volume, sculpture, acier, céramique Ecole publique Jacques Brel (maternelle et primaire). Soudan, Loire-Atlantique Maître d'ouvrage : Commune de Soudan

Fontaine implantée dans le bâtiment et rendue inaccessible aux enfants puisque située à 2 mètres de hauteur et chaise de 4 mètres de hauteur dans la cour de l'école primaire.

Présentation du projet par l’artiste

Ma première visite à Soudan a eu lieu le 28 janvier 2005, accompagné par Norbert Duffort, conseiller arts plastiques pour la DRAC. Nous avons été reçu par Monsieur le Maire Bernard Douaud, son adjoint Monsieur Bugel et son chef de service Bernard Biancotto. Après des discussions d’une nature générale à propos de l’art, et plus spécifiques vis-à- vis de la ville, nous sommes parti pour une visite guidée de l’école élémentaire, Jacques Brel.

À l’école nous avons été accueilli par Madame Esnault, directrice de l’établissement. Elle a expliqué comment tous les bâtiments ont été conçus pour créer un environnement à la fois fonctionnel et chaleureux pour l’enseignement des enfants. Elle n’avait pas tort. Cela se voyait dans la manière dont laquelle les enseignants et les enfants s’étaient appropriés les bâtiments. Il y avait des dessins des enfants partout, tout un arc-en-ciel de couleurs. On est tout de suite captivé par l’optimisme pour l’avenir.

C’est très difficile pour un artiste d’intervenir visuellement dans un tel espace. L’espace est déjà très vibrant et scintillant comme le grand bazar d’Istanbul.

Ajouter des images sur les murs? Ils sont déjà occupés par les enfants. Et de mon point de vue, c’est tout à fait juste. Non, il fallait penser à autre chose.

À la fin de notre visite j’ai laissé une petite idée à Madame la directrice (à mi-chemin entre la plaisanterie et le sérieux). «Ici, tout a été pensé pour une raison» je lui ai dit. « L’art est rarement fonctionnel. J’aimerais bien vous proposer quelque chose de complètement inutile ».

Plus tard, dans mon atelier, je me suis trouvé en train de penser à Marcel Duchamp. Quand il s’agit de m’interroger sur la fonctionnalité ou l’utilité dé l’art, je pense souvent à Duchamp.

En 1917, après avoir ‘abandonné’ la peinture et émigré aux Etats-Unis, Marcel Duchamp, sous le pseudonyme de Richard Mutt, proposait un urinoir à une exposition libre de sculptures. Son oeuvre a été refusé (comme il s’y attendait sans doute). Ce texte (non signé, mais vraisemblablement dû à Duchamp) fut publié dans la revue, Blind Man, New York, 1917:

« On dit que tout artiste s’étant acquitté d’un droit d’entrée de six dollars peut exposer. Mr Richard Mutt a envoyé une fontaine. Cet article a disparu sans la moindre explication et n’a jamais été exposé. Pour quelles raisons la fontaine de Mr Mutt a-t-elle été refusée?

1. Certains ont prétendu qu’elle était immorale, vulgaire.
2. D’autres que c’était du plagiat, une simple pièce d’appareil sanitaire.

La fontaine de Mr Mutt n’a absolument rien d’immoral, c’est absurde, pas plus qu’une baignoire. C’est un objet qu’on voit tous les jours à la devanture des boutiques d’installations sanitaires.

Que Mr Mutt ait fabriqué ou non la fontaine de ses propres mains n’a aucune importance. Il l’a CHOISIE. Il a pris un objet de la vie quotidienne, l’a mis en situation de façon à faire oublier son caractère utilitaire par un nouveau titre et un nouveau point de vue – et il créé une conception nouvelle de cet objet.

Quant au fait qu’il s’agisse d’une installation sanitaire, l’argument est absurde. Les seules œuvres d’art produites par l’Amérique sont ses appareils sanitaires et ses ponts.»

Avant Duchamp, l’art (une dichotomie entre la peinture et la sculpture) a été fondé sur la morphologie des matériaux. Prendre Rodin par exemple. Il prenait un tas de terre, changeait la forme, et le déclarait sculpture. Ou prendre Mondrian. Il a pris de la peinture en tube, il l’a mixée et l’a appliquée sur une surface. Cela il le nommait peinture.

Duchamp a simplement pris un objet quelconque, et l’a déclaré en tant qu’art. Il n’avait pas de transformation physique. Simplement un changement de fonction. Une minute c’était un égouttoir, la prochaine c’était un objet d’art. Duchamp nous a invité à changer notre pensée pour cet objet.

Ces réflexions sur le travail de Duchamp ne viennent pas de moi. Ce sont des réflexions d’un jeune artiste américain pendant les années soixante, Joseph Kosuth.

« La question de la fonction de l’art fut posée pour la première fois par Marcel Duchamp. De fait nous devons à Duchamp d’avoir donné à l’art son identité propre. (Assurément, on peut percevoir une tendance à cette auto-identification de l’art apparue avec Manet, Cézanne et poursuivie jusqu’au cubisme, mais leurs œuvres constituent des avancées timides et ambiguës comparées à celle du Duchamp).

L’art ‘moderne’ et la production qui l’a précédé paraissaient liés par leur morphologie. Une autre manière d’exprimer cela consisterait à dire que le ‘langage’ de l’art restait le même tout en disant des choses nouvelles. L’événement qui révéla la possibilité de ‘parler un autre langage’ qui ait encore un sens en art fut le premier ready-made non assisté de Marcel Duchamp. Avec le ready-made non assisté, l’art cessait de se focaliser sur la forme du langage, pour se concentrer sur ce qui était dit.

Autrement dit, il changeait la nature de l’art, qui cessait d’être un problème de morphologie pour devenir un problème de fonction. Ce changement […] fut le début de l’art ‘conceptuel’. Tout art (après Duchamp) est conceptuel (par sa nature), parce que l’art n’existe que conceptuellement».

Mon travail a toujours tourné autour des «relations». L’art et la vie, l’homme et la femme, le passé et le présent, etc. Mais à l’époque, je me suis surtout interrogé sur le décalage entre deux perceptions du monde, romantique et conceptuelle. J’ai eu du mal à voir comment je pouvais intégrer ma pratique actuelle dans une école pour les tout petits.

En revanche, ce projet est arrivé à un moment clé pour moi. Anabelle et moi sont devenus parents pour la première fois. C’est un moment magique qui bouleverse tout son monde. Peut-être aussi le moment était venu de repenser mon approche aux questions artistiques.

J’ai commencé à penser à ces relations qui traversent différentes époques, et comment une idée peut être transmise d’une génération vers une autre. Duchamp est le grand-père. Kosuth est le père. Et moi? Puis-je oser dire que je suis le petit fiston?

Kosuth n’aurait jamais pu imaginer son travail ontologique sur la réalité et sa représentation si Duchamp n’avait pas passé avant. La chaise ne peut pas exister sans la fontaine. Elles ont des liens familiaux.

Alors j’ai décidé de chercher une manière d’intégrer Marcel Duchamp et Joseph Kosuth dans cette petite école dans la France rurale. Je savais pertinemment que ce n’était pas l’occasion de faire un cours d’histoire de l’art aux enfants. Pourtant je croyais (et je crois toujours) que c’est possible d’introduire une certaine manière de s’interroger sur les choses aux très jeunes enfants.

La première pièce « Fountain – Too High », se trouve dans la salle de motricité de l’école maternelle. La fontaine est installée à hauteur de 2,50m. Malgré la hauteur, elle est quand même fonctionnelle. Le bouton pressoir pour la fontaine a été désactivé et un nouveau bouton a été ajouté plus bas, à la portée des enfants. Pour que ma pièce résonne de l’absurde, j’ai voulu que les enfants reconnaissent l’original fonction de l’objet. Alors, j’ai aussi installé une fontaine identique d’une manière plus conventionnelle dans les toilettes.

La deuxième pièce « Chair – Too Big », se trouve dans la cour de l’école primaire. C’est un agrandissement monumental d’une chaise écolière classique à l’échelle du bâtiment.

A la manière uniquement réservée aux enfants, ils se posent sûrement les questions essentiels:

– Qu’est-ce que c’est ?
– Pourquoi c’est là ?
– A quoi ça sert ?
– Ca veut dire quoi ?

Il n’y a pas de réponse pour expliquer la présence de ces objets d’autre que dire « c’est de l’art ».