Sweet wandering, 2014

Pierre-Yves Hélou

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Pierre-Yves Hélou, «Paravent #3, Scission structurelle», 2014, photographie : Christian Chauvet
Pierre-Yves Hélou, «à plomb», 2014, Douce errance, Galerie RDV, Nantes, photographie : Christian Chauvet
Pierre-Yves Hélou, «à plomb», 2014, photographie : Christian Chauvet

Sweet wandering, 2014

galerie RDV Nantes invited by Jean-François Courtilat et Léa Cotart-Blanco

Texte de Léo Bioret sur inferno-magazine

R_chronique par Hélène Chéguillaume

Pierre-Yves Hélou, en équilibre sur la fine pointe de l’instant.


« Du figuratif dans l’abstraction, de l’abstraction dans le figuratif. Du paysage dans le bâtiment et inversement. Ce qui m’intéresse dans ce qui ne m’intéresse pas. Ce contraste inhérent aux choses mêmes. Ce qu’elles produisent d’autre qu’elles mêmes » ¹.

L’intrigue se dessine dès l’instant où l’on entre dans le lieu d’exposition. Une fois que l’on a traversé le sas de transition : narthex exigu séparant le dehors du dedans.
Pierre-Yves Hélou contrarie l’attitude routinière du visiteur en développant l’espace par le recours à l’obstruction, à la dissimulation partielle.
Les deux parties formant Paravent#3, érigées avec les matériaux de construction des plus triviaux, se dressent respectivement à droite et à gauche de la pièce, comme les fragments d’un rideau pesant lourdement sur le chapitre à venir. C’est sur la fine pointe de cet instant que tout se joue. Dans l’interstice, à la fois vaste et circonscrit, je cherche un premier point d’ancrage visuel.

Et comme une bouée de secours, Douce Errance apparaît, accrochée à droite de ce pronaos. Séductrice par ses motifs immédiatement identifiables, elle a tout d’une peinture classique : précision du dessin, profondeur de l’image, justesse des rapports et contrastes chromatiques. Autant de caractéristiques dignes de la famille académique dite « Grand Genre ».
Mais il s’agit d’une photographie, « un paysage saisit dans l’instantanéité d’un moment » ². A l’approche de l’œuvre, son modelé se dévoile charnel et ses couleurs voluptueuses. J’identifie alors l’impression étrange qui, à distance, m’évoquait Arnold Böcklin.
Suivant son exemple, je fais volte face pour me diriger vers Ascension#10. Paraissant dessiné directement sur le mur tant il s’y fond, l’horizon vallonné cher à l’artiste, darde la marche à suivre.
Me fiant à cette signalétique tranchante, je m’engouffre dans la large faille séparant les modules, aussi monumentaux que précaires, de Paravent #3.

Au cœur de l’exposition, et parmi ces matériaux à l’apparence désincarnée, l’ambiance se fait paradoxalement intimiste. La présence muette de Pierre-Yves raisonne dans le chaos réorganisé en paysages dénués d’arrogance. Les couleurs fades du placo rejoignent les motifs rassurants des tapisseries de nos souvenirs d’enfants.
Puis survient Palissade #2, seule œuvre que Pierre-Yves ait contrainte dans sa forme. En prise directe avec le mur, elle dilate l’espace. Les montagnes se font abruptes et accidentées, suggérant un hors champ, territoire de nos propres projections et scenarii.

Plus loin, la photo-sculpture Répit attire le regard et attise ma curiosité.
Mais qu’est ce que ça fout là. En effet, ma collision contre les fondations d’une architecture laissée in progress vient d’être évitée de justesse. RDV se transforme alors en chambre d’enfant, ce qui m’oblige à reconsidérer mon errance, le nez au vent.

De cette nécessité pragmatique surgit Tout est là, œuvre solidement accrochée à la base du mur. A la fois écrin précieux et boule à neige aussi peu manipulable que transportable. Le cadre transforme un minuscule morceau de réel en la représentation d’un « ailleurs paradoxalement contenu dans l’ici »³.
Ancrant, pour une part, sa pratique artistique dans un postulat contextuel, Pierre-Yves relève l’épiderme du lieu qui l’accueille, nous invitant à notre tour à lire le bâti.
Du paysage microscopique à l’abstraction géométrique, l’artiste joue sur la variation focale comme il revisite les strates de l’histoire de l’art.
A plomb #2 me fait de l’œil depuis mon arrivée.
S’affichant comme une peinture libérée des contraintes arbitraires de son cadre, cette sculpture murale se distancie des fondements historiques de l’abstraction par sa mise en œuvre. Une solution de libertinage géométrique s’offre aux matériaux minutieusement sélectionnés. Ils se superposent, confrontant les caractéristiques physiques propres à chacun : forme, taille, poids, couleur, sont alors garants de la stabilité de l’ensemble, autour d’une vis solitaire dont l’unique fonction est d’assumer l’accroche verticale de la composition en équilibre.

Changement de cap, changement d’échelle : Qui peut le plus… #2 constituera le dernier chapitre de mon épopée miniature. Ville utopique désertée, ruines d’une civilisation antique ? Ce fragile micro-paysage qui semble tenir en suspension, ouvre la voie à de multiples narrations analogues, vécues ou rêvées.
Patience, minutie, précision. Peu de jours avant l’ouverture de l’exposition, la galerie RDV semblait être en chantier. Pierre-Yves a su développer le lieu nous proposant un nouvel espace temps, toujours en équilibre instable.

Hélène Chéguillaume
¹ Pierre Yves Hélou, février 2014
² Idem
³Idem