Artistes

Laurence Broydé : born 1969 in Brive, lives in Nantes, works in Nantes.

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SOLEIL VERT

SOLEIL VERT, 2024galerie RDV, Nantes

la nymphe & la loge

la nymphe & la loge, 20242ANGLES Résidences d'artistes , Flers, Briouze

Smog Wall

Smog Wall, 2023Galerie Open School, Beaux-Arts de Nantes St Nazaire

Deep Forest

Deep Forest, 2023Galerie Open School, Beaux Arts de Nantes St Nazaire, Nantes

SAUVAGE !

SAUVAGE !, 2023Galerie Le Grand Huit, Nantes

Arbre endormi

Arbre endormi, 2023Galerie Le Grand Huit , Nantes

Wooden Spirit

Wooden Spirit, 2023Centre d'art Axenéo7, Gâtineau Ottawa, Québec

Espaces d’espèces

Espaces d’espèces, 2022Atelier Alain Lebras, Nantes

Zone d’exposition

Zone d’exposition, 2015CIAM La Fabrique, Toulouse

Solo exhibitions

2024

  • «Soleil Vert», Galerie RDV, Nantes
  • «La nymphe & la loge», 2Angles résidence d'artistes (Flers)& Centre culturel d'Houlme, (Briouze)Normandie

2023

  • «SAUVAGE !», Galerie Le grand huit, collectif Bonus, Nantes
  • «Wooden Spirit», Centre d'art Axenéo7, Gâtineau Ottawa, Québec, Canada

2022

  • « L’origine des mondes», Médiathèque, Groix

2012

  • «Persistance», Galerie Bien

Group exhibitions

2024

  • «Embrasement des nuées», Galerie Open School, Beaux-Arts de Nantes

2023

  • «Dianchi Art Festival», Kunming, Chine
  • «Carton plein», Galerie Le Grand Huit, Collectif Bonus, Nantes
  • « Les oies sauvages», Galerie Le Grand Huit, Collectif Bonus, Nantes
  • «Détour(s)», Moulin Gautron, Vertou

2022

  • «Espace d’espèces», Atelier Alain Lebras, Nantes
  • «La vie aquatique», Festival International du film Insulaire, Groix
  • «Gentilles mais pas que», Atelier Magellan, Nantes

2021

  • «SAVE ( Lolab)», WAVE - Week-end des Arts visuels, Nantes
  • «MICROWAVE ( Galerie le Grand Huit - Bonus) », WAVE - Week-end des Arts visuels, Nantes

2020

  • « Boxon Salin Poésie Tondue », Galerie Le Grand Huit, Collectif Bonus, Nantes

2019

  • « Tailler la zone 2 », Galerie 3.1, Toulouse

2018

  • «À Ciel ouvert - Festival WEACT», Médiathèque d'Aigrefeuille
  • «Tailler la zone», Hôtel du Département, Toulouse

2017

  • «A.R.T.F », Centre Culturel Léonard de Vinci de l’Ecole Nationale d’Aviation Civile, Toulouse

2015

  • « IGITUR », La Fabrique, Université Jean Jaurès, Toulouse
  • «TTS », Ateliers d'artistes de la ville de Sète
  • «Libération/Libérations», Galerie d’établissement Jean Moulin, Toulouse
  • «Résistance/Résistances», Galerie d’établissement Jean Moulin, Toulouse
  • «L’arme blanche», Exposition en appartement, Toulouse

2009

  • «Le bureau des ouragans», Lieu-Commun, Toulouse

2005

  • « Collectif people - saison3 - Collectif ALP», Espace Croix-Baragnon, Toulouse
  • « Barbara une hache dans le cœur», Œil de poisson, Montréal (Québec)

Residencies

2023/2024

  • «Résidence de création 2Angles résidence d'artistes », Flers Normandie

2023

  • «Résidence de création Dianchi Festival », Kunming, Chine

2022/2023

  • «Résidence de création Centre d'art Axenéo7», Gâtineau, Canada

2021

  • «Résidence de recherche La Fabrique Dervallières, Nantes», Nantes

2020

  • «Résidence de recherche Lolab», Nantes

2017

  • «Résidence de recherche Centre Culturel Léonard de Vinci de l’Ecole Nationale d’Aviation Civile, Toulouse», Toulouse

Grants, awards

2022

  • Région Pays de Loire Aide à la Création

2020

  • DRAC Pays de Loire Aide à la Création

2019

  • Région Pays de Loire Aide à la Création

2009

  • DRAC Midi-Pyrénées Aide au matériel

Du monde clos à l’univers infini : l’art combinatoire de Laurence Broydé

Graphiste de formation et membre du collectif d’artistes ALaPlage, Laurence Broydé construit une œuvre singulière au croisement de divers médiums d’expression. Du graphisme
à l’installation, du dessin à la sculpture, l’artiste mène des recherches artistiques différenciées et en même temps complémentaires. A la manière d’un hypertexte, l’art de Laurence Broydé compose un univers plastique dans lequel
les couleurs, les formes et les matières sont utilisées avec une grande acuité. Ce qui frappe dans la trajectoire de Laurence Broydé, c’est indéniablement son sens de la composition, son utilisation extrêmement précise de la couleur, la plasticité et l’organicité des composants plastiques de ses œuvres.
Si nous prenons plaisir à appréhender ses images et ses objets, Laurence Broydé nous invite également à réfléchir à la définition de l’œuvre d’art en lui attribuant des fonctions divergentes ou contradictoires. Entre art, design et artisanat, son œuvre oscille sans cesse entre différentes polarités. Artiste-caméléon, Laurence Broydé transforme tout ce qu’elle touche en art.

Dans les dessins que Laurence Broydé réalise en atelier, l’artiste crée des « espèces d’espaces », pour reprendre les mots de Georges Perec, jouant sur les effets de perspectives
et de planéité, de paysage et d’abstraction, de fluidité et de géométrie. Ces dessins sont le lieu d’une genèse de son travail dans lequel l’artiste laisse surgir son imaginaire débridé. L’artiste décline ses dessins en sérigraphie sur divers supports. Ce report du dessin à la technique de la sérigraphie offre à l’artiste la possibilité de réinterpréter son dessin initial par un travail de synthèse des formes et d’aplanissement de la couleur. Au-delà de ce passage du dessin unique vers le multiple imprimé, il me semble que cette pratique du dessin sur papier incarne un espace expérimental et ontologique dans lequel se déploient ses esthétiques et ses formalismes.

Dans le secret de son atelier, Laurence Broydé développe
un travail à la lisière de la mode, de la sculpture et de la performance. L’artiste réalise quotidiennement avec une grande patience des « Sculptures à porter » avec la technique artisanale du crochet. Cette pratique lente et manuelle offre à l’artiste une grande économie de moyens, un retour du geste du faire dans

le processus de création ainsi que du corps dans le dispositif de monstration de la pièce. Ces volumes en laine, sortes de masques oblitérant autant le visage que la vision, transforment le corps en sculpture vivante. Là encore, l’artiste se joue des frontières entre art et design, arts plastiques et arts vivants, création de l’esprit et création artisanale. Tantôt sculptures sur un socle, accessoires d’une performance ou création de mode, ses sculptures changent de statut en fonction du contexte.

Si l’artiste crée des formes qui peuvent sembler autonomes, elle induit toujours une mise en scène ou des modalités d’usage qui interrogent le statut de l’œuvre.

En complément de cette pratique quotidienne du dessin et du crochet, Laurence Broydé produit de vastes installations se déployant dans l’espace à l’occasion des expositions auxquelles elle est invitée. À de multiples reprises, l’artiste a réalisé des dessins dans l’espace relevant à la fois du graphisme, de la scénographie et de l’installation.

Ces interventions sont toujours le fruit d’une approche autant sensible qu’analytique des espaces dans leur singularité. Cette pratique de dessin mural est à la fois une appropriation de l’espace et un travail de déconstruction de la perspective. Jouant souvent avec des constituants simples comme la ligne, le noir et le blanc, ses dessins spatiaux opèrent des illusions de mouvement, des déformations optiques et des anamorphoses qui bouleversent la perception des lieux.

Ce travail sur l’espace invite le public à s’immerger dans l’installation et à faire une expérience esthétique dans laquelle le corps dans son entier est sollicité. En effet, dans ces environnements plastiques, le corps du spectateur n’est plus « devant le tableau », mais devient un véritable acteur de l’œuvre. Ce type de productions, comme par exemple sa
« Zone d’exposition » réalisée dans le cadre de l’exposition Igitur, met en évidence un questionnement fondamental sur
la valeur d’exposition et sur la capacité de l’art à transformer littéralement notre expérience de l’espace.

Ces dispositifs de déformation de l’espace physique s’incarnent d’une autre manière dans ce que l’artiste appelle les « Open-spaces ». Cette autre série de réalisations semble combiner l’œuvre autonome et l’espace réel dans lequel elle se donne à voir. Sculptures à mi-chemin entre le dessin, l’architecture et la peinture, les « Open-spaces » reprennent des éléments plastiques chers à l’artiste comme les dégradés de couleurs pour, comme leur nom l’indique, ouvrir l’espace à

d’autres dimensions. L’artiste joue ici sur des effets de perspective et de planéité pour mieux déjouer les habitudes perceptives et ouvrir les potentialités de l’espace réel.
Ces formes ont quelque chose à voir avec la physique quantique et les sciences de l’univers. Par les jeux de
couleurs et les illusions de profondeurs qu’ils mettent en œuvre, les « Open-spaces » ont quelque chose d’énigmatique. Ils font apparaître une dimension spécifique et paradoxale de l’espace physique : un monde clos dans lequel semble se dessiner l’univers infini. C’est ainsi d’une manière personnelle et intuitive, et à l’aide de procédés purement plastiques que les œuvres de Laurence Broydé touchent ici la qualité d’un espace autre, une « hétérotopie » aurait pu dire Michel Foucault. Il y a également une forme d’utopie dans ses « Open-spaces » qui relèvent d’une esthétique quantique et de ce que je nommerais une phénoménologie du trou noir.

Profondément nourri de graphisme aussi bien que de culture visuelle et populaire, le travail de Laurence Broydé se déploie dans toutes les dimensions de l’espace connu et inconnu.
Son parcours artistique décrit un mouvement du monde clos de la page vers l’univers infini de l’espace réel. Tout se déroule comme si l’artiste cherchait à s’évader de l’espace limité de la feuille de papier qui est pourtant la base de son travail. Son œuvre trace une ligne fuyante convergeant vers un seul et même point, à la manière d’une perspective classique dans un tableau de la Renaissance. Les espaces imaginaires que l’artiste crée dans ses dessins s’incarnent de plus en plus dans l’espace réel, déployant son vocabulaire plastique et symbolique dans les trois dimensions de l’espace. L’artiste ouvre un nouveau chapitre dans sa création en commençant

à présenter dessins et sculptures au sein de ses installations. Par-delà la multitude des médiums et des supports,
la démarche de Laurence Broydé explore ainsi le principe d’une combinatoire reliant la partie au tout et le tout à la partie.

Jérôme Carrié

Laurence Broydé, There Is a Light That Never Goes Out

Dans Le cornet acoustique (1974)1—livre écrit par la peintre et écrivaine Leonora Carrington à propos d’une nonagénaire ex-surréaliste et de ses aventures dans une maison de retraite s’apparentant à une secte—l’héroïne remarque le portrait peint d’une nonne vaguement espagnole, qui semble la regarder et lui faire un clin d’œil. Ce regard mystérieux suffit pour que l’imagination de Marian s’envole, lui inventant un nom et des origines, tout en éprouvant des sentiments plutôt amicaux pour elle—« une femme aussi formidable qu’épouvantable », comme elle est décrite dans un livre donné à Marian par un autre personnage haut-en-couleur de la communauté.

Le regard est tout aussi important dans « Espaces d’espèces », l’exposition de Laurence Broydé à l’Atelier Alain Lebras2. Les yeux y sont omniprésents ; ils sont multiples, inhérents aux Sculptures à porter réalisées au crochet. Ainsi, nous rencontrons Visio, Rainbow, Argos, Le Troisième Œil, Fireman, (toutes de 2017) dans un environnement qui ressemble à une scène de théâtre ; nous nous retrouvons vraisemblablement dans leur habitat naturel, elles nous font miroir et nous renvoient à notre propre présence—d’observateurs en observation. Nous nous retrouvons parmi ces sculptures- totems, perchées sur leurs piédestaux, attendant qu’un événement encore inconnu se déroule…

Les figures de Broydé suggèrent l’immanence—un fil qui se tisserait continuellement sur lui-même, encore et encore, telle une pensée indisciplinée. Les nombreux nœuds fibreux qui forment la base de ces sculptures varient en couleur et se fondent ensemble pour créer du volume, des liens à la fois flexible et solides ; ils dressent des formes et des mouvements changeants. Comme leur titre l’indique, ces formes souples conçues pour être portées détiennent un potentiel d’interaction (elles sont exposées ici pour la première fois sur des socles, ayant précédemment été portées dans le contexte de performances). Ainsi, ces sculptures à porter ont une présence hétérogène, plurielle et dérangeante – unheimlich3 ; dans le même temps, elles témoignent d’une absence.

Il y a de la transcendance, également, dans la peinture immersive (de la série Open Space) qui sert de toile de fond au groupe. Ici l’artiste prolonge l’espace d’exposition, faisant allusion à d’autres existences (l’hétérotopie de Foucault), d’autres forces, d’autres états d’esprit. Lors d’itérations précédentes des Open Spaces, elle a créé des extensions virtuelles à l’aide de peinture à l’Aérographe et de scotch, transformant des espaces transitoires—tel que des escaliers ou des couloirs—en histoires ouvertes dont le contenu sera déterminé par le public. Ces œuvres nous rappellent que les espaces liminaux comptent aussi. Ils sont ici le lieu et le décor d‘interactions transitoires ; un échange de regards, une conversation, un nu duchampien descendant, voire même une vidéo de hip-hop, comme cela a été le cas au 38 Breil à Nantes. Dans les travaux de Laurence Broydé, des éléments contrastés se réunissent ; tantôt en harmonie, tantôt en contrepoint. Ceux-ci se révèlent parfois capricieux—une langue qui émerge du centre d’une fleur—parfois réflexifs—une sorte d’écran-rideau remplaçant la mer. Une palette de couleur vibrante d’énergie se juxtapose à des thèmes issus de l’antiquité—des masques rituels, l’ici et l’au- delà, la présence d’esprits et d’êtres de l’outre monde et qui font référence à d’anciennes croyances animistes, à d’autres conceptions de l’univers. L’incertitude est aussi présente dans des traces de notre société de consommation laissées sur le sol sableux— emballages en plastiques, gobelets jetables et chewing-gum mâchés hantent l’avenir de notre planète avec pour seule garantie la promesse d’un réchauffement climatique.
Un changement de perspective, un repositionnement est souvent présent dans ces œuvres. Dans Oratoire (2022), nous pénétrons dans un espace circulaire et matriciel pour nous rapprocher d’une sculpture en état de non-usage—ou Lagerform4, pour emprunter un terme à l’artiste allemand Franz Erhardt Walther. Scala Vestibuli (2018), est une Sculpture à porter dont le socle, bas-relief en céramique, est couronné d’une volumineuse masse médusesque au crochet cramoisi et noir, portée pour la dernière fois lors d’une performance5 en 2021. Un autre de ces déplacements a lieu avec les petites fleurs crochetées et les boules de chewing-gum et des ballons en verre soufflé. Lorsque nous nous rapprochons de ces sculptures, nous découvrons que ce qui était autrefois de nature fragile et transitoire a été imprégné d’une aura beaucoup plus résistante ; tel un masque que l’on enfilerait pour devenir quelqu’un d’autre. Un pas un arrière et nous nous rendons compte que ce qui semblait être au départ un petit jardin tranquille est devenu un visage qui nous regarde, taquin.

Ce glissement a lieu à plusieurs reprises dans « Espaces d’espèces »—masques devenant sculptures et qui ressemblent à des créatures, un rideau peint devenant sculpture6. Il se produit lorsque nous nous rendons compte que les détails peints sur la surface sont en fait des protubérances sculptées qui mènent à des portails potentiels. Certains tableaux rappellent des espaces richteriens; une bougie 7 allumée qui ne cessera jamais d’illuminer des espaces obscurs. De l’autre côté de l’obscurité demeure—maintenant ou dans le futur—de la lumière. Telle la photographie d’un moment sublime ou mémorable, l’œuvre de Broydé s’empare du transitoire pour le prolonger ; comme ce que Leonora Carrington pourrait souhaiter nous transmettre quand sa protagoniste observe le portrait de la nonne—elle prolonge de fait son existence, lui créant une vie rêvée, inventée.

La contrepartie de ceci serait, qu’en tant qu’observateurs, nous serions nous-mêmes constamment observés. Jamais seuls, nous serions toujours en compagnie de nos homologues sur le plan individuel, comme sur celui de la société en tant que groupe, aujourd’hui comme dans le futur. Nos actions de ce jour sont, après tout, l’histoire en devenir. Ainsi, un spectre de possibilités s’ouvre : à nous de décider ce que nous faisons de ces Mondes potentiels.

 

Cynthia Gonzalez-Bréart

1 The Hearing Trumpet a été écrit en anglais dans le courant des années 40, puis traduit et publié pour la première fois en français.
2 L’espace de la galerie est partagée avec l’artiste Anna Picco pour l’occasion, du 3 au 29 décembre, 2022.
3 La notion de unheimlich a été exploré par Sigmund Freud (1856-1939) dans son essaie L’inquiétant étrangeté (1919) et référencie des phénomènes familiers et suffisamment déroutantes pour susciter une forte réaction psychologique auprès du sujet. Les automates, mannequins et la tête du Méduse sont parmi les exemples de unheimlich donnés dans l’essaie.
4 Lagerform est un terme utilisé par l’artiste pour indiquer une œuvre habituellement utilisée dans le contexte de performances, en situation de non-usage et montée de façon temporaire sur un piédestal. Soulignons également les travaux des artistes brésiliens Ligia Clark (1920-1988) et Helio Oiticica (1937-1980) ; tous avaient incorporé l’usage de formes souples avec le potentiel à être portées, dans des contextes performatifs pendant les années 1960. Annette Messager (b. 1943) et Faith Wilding (b. 1943) viennent également à l’esprit ; celles-ci ont intégré des techniques de travaux manuels telles que le tricot et le crochet dans leurs pratiques à partir des années 1970.
5 Sculptures to Wear in Open Space (2021) à 38 Breil, Nantes, ECART Company.
6 Voir la série de Donald Judd (1928-1994) Specific Objects (1965) qui cherchait à éviter de revisiter le terrain déjà bien exploré de la sculpture et de la peinture, s’efforçant d’esquiver toute étiquette.
7 Symbole récurrent pour le peintre allemand Gerhardt Richter (b. 1932). Voir Kerze (1982).

Laurence Broydé, SAUVAGE !

Enfumées, brûlantes, vaporeuses, nos images du monde sont plongées dans les fumées de la rébellion. Tantôt gaz des bombes lacrymogènes des forces de l’ordre, tantôt feux de forêts, ce sont toutes ces émanations brûlantes et irritantes dont l’artiste Laurence Broydé dépeint sur ses toiles. Cachée par ces nuées, la lutte s’active en arrière-plan. Derrière le trouble, se dissimulent les manifestations du mouvement anti-bassines à Sainte-Soline, déclencheur de l’exposition. Depuis quelques années, les peintures de feu habitent l’œuvre de l’artiste qui livre ici des “images iconiques de l’affrontement1”. Ces images de la défense collaborative des réserves d’eau sont la représentation d’un empêchement de la protection de nos milieux par les politiques et rappellent les violences entre les manifestants et les forces de l’ordre. Les écrans de fumée sont aussi symboliques. Ce sont ceux des politiques aux messages embués, mensongers et dangereux. Ils évoquent les barricades que les manifestants essayent de traverser malgré tout. Le trouble diffus nous plonge dans la fumée et cette volonté de passer outre. Nos yeux larmoyants s’irritent, tentent de faire le point sur cette oblitération de la nature. Une double image absurde et ridicule surgit alors : des CRS armés jusqu’au dents, comme en temps de guerre, face aux manifestants qui se protègent en brandissant leurs parapluies. L’artiste, en découvrant le manifeste Réensauvagez-vous !, soulève une part enfouie de nos êtres, encapsulée par notre société : la sauvagerie, qui serait chez l’humain, “à l’origine de tout son potentiel de vie2”. C’est finalement en s’intéressant à la polysémie du mot, qu’elle cherche “à remettre du sauvage dans nos vies3”. D’abord, à connotation négative, le terme rappelle un imaginaire colonial ou un champ lexical employé par les politiques pour caractériser les actions combatives des manifestants. En 1998, Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de l’Intérieur, nommait “sauvageons” les contestataires des banlieues avec condescendance. Le devenir sauvage manifeste ici un désir de liberté, une occasion de reprendre le dessus et de se réapproprier l’espace public : entre fête sauvage et manifestation non-autorisée. Les grandes sculptures de laine s’affirment par une présence organique qui contrebalance ces destructions. Par un processus long de crochet, Laurence Broydé s’accorde à la lente croissance du vivant, crée avec les formes de la nature et met ainsi en œuvre une “économie des communs4”. En suspendant de la mousse et du mycélium de champignons (pleurotes roses et lion mane), elle nous fait goûter à une culture du sous-bois, possiblement soumise à un échec de la pousse. Ne serait-ce que par ses tentatives de faire intervenir des champignons comestibles aux vertus médicinales et aux formes étranges, ainsi que des excrois- sances de laine à porter ou non, elle contribue à créer activement du collectif et des potentialités de transformations.Quoi de plus évocateur que de faire se côtoyer ces humains dans le feu de l’action, des incendies de forêts et des fleurs éteintes ou en voie de disparition ? Tout est affaire de bouleversements naturels induits par le réchauffement climatique et les actions humaines. La faune et la flore s’éteignent silencieusement, sans retour en arrière possible. Ses six dessins de fleurs, posés sobrement au sol, deviennent des icônes de notre monde. Symboles de la disparition, les murs de flammes, eux, débordent, surprennent par leur étendue incontrôlables. Malgré une esthétique attrayante de la couleur, c’est tout le champ tragique de l’écocide, celui des reconquêtes sauvages de nos milieux et de nos libertés que Laurence Broydé aborde.

Adélie Le Guen

1Echange avec l’artiste le 16 mai 2023.

2Andreas Weber et Hildegard Kurt, Réensauvagez-vous ! Pour une nouvelle politique du vivant, Paris, Le Pommier, 2021, p. 33.

3Echange avec l’artiste le 16 mai 2023.

4Voir en ce sens la pensée de David Bollier

Last Xmas I gave you my art

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44000

Tel. : 0614450705
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