Texte de Sandra Doublet, commissaire d’exposition et directrice de l’artothèque de La Roche sur Yon, écrit pour l’introduction du catalogue de l’exposition.
« Il n’y a pas de faits, seulement des interprétations. »
Nietzsche ( Fragments posthumes)
En 1972, le roi d’un petit pays enclavé entre l’Inde et la Chine, appelé le Bhoutan, préconise l’abandon du Produit Intérieur Brut (PIB) au profit d’un nouvel instrument d’évaluation de la qualité de vie et du bonheur des populations. Il s’agit du Bonheur National Brut. Ce qui de prime abord ressemble à un projet utopiste créera quelques décennies plus tard une véritable remise en question dans le monde économique et politique mondial. En 2012, à l’initiative du gouvernement royal bhoutanais, sept cent responsables politiques et gouvernementaux, économistes, philosophes, scientifiques, officiels de l’ONU et entrepreneurs se réunissent au siège des Nations Unies à New York, pour une conférence intitulée « Bonheur et bien-être, pour une définition d’un nouveau paradigme économique ». Le bonheur serait désormais producteur d’une certaine forme de richesse pour l’homo-oeconomicus, un nouveau facteur générant une dynamique de prospérité. L’oeuvre d’Olivier Petiteau met en exergue la mesure de nos performances collectives, notamment les machines de production du bonheur à travers le prisme de l’abstraction géométrique. L’exemple manifeste du Moral des ménages (2011) souligne les potentiels, les expressions individuelles et collectives que les liens entre bonheur et économie sont à même de créer : une déferlante d’acier noire apposée sur un mur apparaît comme la dynamique instable d’un moral des ménages en montagnes russes. La mesure du bonheur en fonction de l’aspect matériel et marchand est rendue à son pur être de signe. Sublimée, abstraite et ironique, elle permet une compréhension esthétique immédiate dans un monde gouverné par des indicateurs.
Au coeur de la démarche d’Olivier Petiteau, l’économie de son propre travail se frotte à la mise en regard de l’économie industrielle, de l’ère machinique et productive. L’artiste réexamine depuis le paradigme capitaliste un rapport de force entre énergie et dépense. Dans ses lignes, ses formes élémentaires, tension du tracé et sphère de l’intention alternent avec le pur équilibre d’un régime qui pourrait paraître mécanique. Olivier Petiteau crée un jeu sur la coexistence d’éléments opposés, de réalités inconciliables, comme le contraste maximum du blanc et noir, associé à des surfaces bétonnées ou marquetées. Il représente le monde à coup de placoplâtre, de bois, d’acier, de béton. Avec lui, les informations quantifiées prennent une dimension sensible et poétique. L’artisanat et l’industriel se superposent et poussent les limites du signe à l’essentiel dans un processus d’interprétation subjective de l’univoque. L’information, une fois évidée, reprend ses droits sensibles, jusqu’à cette oeuvre où l’artiste fait saillir une mâchoire bovine d’un ensemble de hachures noires et blanches: superposition de possibles imaginaires, le trophée animal se mue en un nouveau fétiche industriel («Sans titre à la mâchoire» 2018).
Les œuvres d’Olivier Petiteau font signe, mais valent également pour leur fonction iconologique. En catalysant les «Taux de fécondité et du tarif postal», ou ceux du «Rugby et des céréales», il instaure une zone d’oscillation entre langage et donnée: le motif de mesure, teinté d’ironie, devient visuel. Outils de communication détournés et sublimés, ses œuvres agissent alors comme des instruments d’optique troubles.