Château de Chanay, 2001-2002

Thierry Frer

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Thierry Frer, «Château de Chanay», 2001-2002, photographie : droits réservés
Thierry Frer, «Château de Chanay», 2001-2002, photographie : droits réservés
Thierry Frer, «Château de Chanay», 2001-2002, photographie : droits réservés
Thierry Frer, «Château de Chanay», 2001-2002, photographie : droits réservés
Thierry Frer, «Château de Chanay», 2001-2002, photographie : droits réservés

Château de Chanay, 2001-2002

FRAC des Pays de la Loire Carquefou

Deux maquettes d’un même château, à regarder avec un casque sur les oreilles. Un diaporama à contempler en écoutant des lettres de rupture : Thierry Frer a réuni les fragments cassés de la vie (celles des autres ou la sienne) dans une oeuvre présentée au FRAC. Son grand-père était un radio-amateur passionné et enregistrait tout ce qui bouge et qui parle. Sa mère, institutrice spécialisée dans un château de comptes de fées, enregistrait également les petits pensionnaires oubliés là par leurs parents. Thierry Frer a beaucoup rêvé dans ce château. La bande magnétique lui servait à communiquer avec les petits malades qu’il n’avait pas le droit de voir. Il utilisait aussi le micro pour inventer des psychodrames enfantins, des pièces de théâtre où il rejouait, à sa façon le psychodrame familial. « Je me souviens de ce château, un centre de la Mutuelle des enseignants de l’Education Nationale. Les enfants y vivaient une rupture avec leurs familles. Une fillette avait pu parler avec sa Mamie dans un parloir, elle avait reçu des jouets par l’ygiaphone. » De ce château, l’artiste a conservé une vieille bande magnétique un peu folle, un entretien entre sa mère et une fillette. Il l’utilise dans son dispositif de recomposition de sa propre vie. Une autre bande conserve la trace d’un vaudeville où Thierry, à dix ans, s’identifie au comte du château et demande à l’amant de sa femme de le débarrasser d’elle. « Je rejouais l’état de rupture permanent de mes parents, j’enregistrais sans arrêt. » Culture familiale du magnéto, et de la cassure qui finira par la séparation. Thierry Frer va d’abord travailler sur l’intérieur familial, en proposant à des habitants de la Maison Radieuse du Corbusier d’inverser leur judas. On peut ainsi les regarder vivre dans un ovale semblable au miroir des sorcières. Ou celui du tableau « Les époux Arnolfini » de Van Eyck où le peintre s’est représenté lui-même. Comme si l’image venait de l’oeil. « Mais c’est la première fois que je traite de la rupture amoureuse, parce que j’ai subi deux ruptures récentes, et qu’en outre il m’a fallu porter celle d’une amie en dépression. Elle communique avec moi par textos sur mon téléphone portable. Un jour, je lui ai écrit : les histoires d’amour se passent en Espagne. C’est devenu le titre de mon exposition. » Entre cassures familiales et enfants esseulés, un enfant élabore une mythologie personnelle, tissée de sons magnétiques et de dramaturgie néo-gothique. L’enfant épie, espionne tout. L’oeuvre qu’il présente aujourd’hui se déploie à partir de ce point fixe. Le château rose de l’enfance est le noyau de son imaginaire. Au FRAC, Thierry Frer expose deux maquettes du château où sa mère a travaillé. Des architectures à observer en écoutant les sons du grand-père, de la mère et du fils. Un son et lumière de l’intime fracture auquel répond le diaporamma. Des personnes réelles se sont prêtées au jeu : sur des photos de couples ou l’absent n’est qu’une silhouette noire, une voix lit la lettre de rupture. Pars, et sutout ne te retourne pas. Thierry Frer, lui, marche à reculons, un micro à la main, ramenant des Enfers les lignes brisées de sa vie. Et de celle des autres.

Daniel Morvan.