Columbariums, 2024

Manuia Faucon

1/6
, «Prestige», 2024, Eau forte
, «Alexandrie», 2024, Eau forte
, «Adamentis», 2024, Eau forte
, «Millenium», 2024, Eau forte
, «Miridouar», 2024, Eau forte
, «Basalto», 2024, Eau forte

Columbariums, 2024

Eaux fortes sur cuivre imprimées sur papier sommerset gris 10 × 15 cm Editions 303, n°179

Travail en cours

SURVIVANCE

Les lignes sont fragiles, tracées à main levée : dans la taille-douce du métal, par la morsure de l’acide, Manuia Faucon fait saillir des objets dont la silhouette, l’absence d’échelle et le traitement minimaliste se réfèrent à part égale à l’architecture monumentale, au mobilier urbain ou à la sculpture abstraite. Dans chaque composition, l’artiste arrime ces formes au réel : elles demeurent reliées au cadre, à l’horizon, au principe de gravité. Toutefois, leur contexte minimal ne donne que peu d’indices, ce qui teinte leur réalisme d’une touche d’anticipation, voire de prophétie dystopique. Tout est tellement léger, il pourrait s’agir d’un mirage.

Manuia Faucon élabora cette série en s’inspirant d’un catalogue de pompes funèbres destiné aux collectivités : l’ouvrage présente un ensemble de columbariums contemporains, dotés de noms aussi poétiques que grandiloquents. Avec humour, l’artiste choisit de conserver ces appellations qui deviennent le titre de ses eaux-fortes : d’Alexandrie, pour une architecture pyramidale, à Adamantis, une herbe aux pouvoirs magiques, de Prestige, pour le rayonnement et la séduction, à Millenium, le règne messianique et la mutation, tous les fantasmes s’invitent dans cette liste fertile. Le mot columbarium lui-même, qui vient du latin columba, niches de pigeons, et qui désigne à l’origine une typologie de monuments de la Rome Antique, ne manque pas de charme. À cette époque, la crémation était un rite courant : les cendres étaient déposées dans des urnes cinéraires et transférées dans les premiers columbariums, des bâtiments creusés de petites niches où étaient entreposées les urnes. À partir du IIe siècle, l’arrivée du christianisme normalisa peu à peu l’inhumation et inversa la tendance. Depuis quelques décennies, ces lieux de commémorations ont à nouveau les faveurs des familles, et des concepteurs en réinventent les lignes.

De la naissance à la mort, les mêmes formes standardisées nous accompagnent, qui peuvent évoquer le pavillon de banlieue, le HLM, les alvéoles de la ruche, la géométrie intérieure des briques ou des parpaings : en bref, des petites boîtes géométriques à dimensions variables, espaces organisés les uns contre les autres pour abriter la vie, puis ce qu’il en reste.

Par la finesse de son dessin tremblant, qui humanise ces formes robustes, initialement conçues pour accueillir l’éternité, l’artiste amène une forme de douceur et de vacillement éthéré. Le murmure du vent, la matière qui résiste au temps, la ruine à venir. Pourtant, le sujet de la mort préoccupe moins Manuia Faucon que le principe du glissement. Adepte de sérendipité, elle traque les rémanences, résurgences, et survivances sémantiques ou formelles. Logiquement, cette nouvelle série entre en résonance avec ses recherches antérieures sur les dispositifs anti-SDF, ces infrastructures disséminées dans l’espace public qui reprennent certains ornements décoratifs ; ou les liens qui unissent les forteresses et architectures défensives avec les châteaux d’eau. À la croisée des bâtiments modernistes et des aires de jeu pour enfants, du mobilier urbain et de la sculpture, ces gravures de columbariums prolongent donc l’intérêt pour l’équivocité et l’ambivalence. Dans le traitement graphique, une même justesse opère : par le passé, les chimères architecturales de l’artiste étaient délicatement travaillées en lavis, à l’encre de chine, un médium qui apporte beaucoup de souplesse et de suavité à la réalité industrielle dont il se réapproprie l’essence. Il en va de même avec ces eaux-fortes si frêles, pleines de retenue et de silence, déposées dans l’épaisseur souple d’un papier Somerset gris aux bords frangés. Polysémiques, elles racontent aussi le déplacement de la matrice au multiple, et disent l’appétit de Manuia Faucon pour le travail de la matière et l’estampe artisanale, terrain d’expression mobile qui lui va si bien.

Éva Prouteau