Espaces d’espèces, 2022

Laurence Broydé

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, «Le grand Œ et Visio dans Open Space», 2017 à 2022, Espaces d'espèces
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, «Open Space», 2022, Bois et tissus peints, Espaces d'espèces, Atelier Alain Lebras
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Espaces d’espèces, 2022

Atelier Alain Lebras Nantes commissariat Laurence Broydé, Anna Picco

Laurence Broydé, There Is a Light That Never Goes Out

Dans Le cornet acoustique (1974)1—livre écrit par la peintre et écrivaine Leonora Carrington à propos d’une nonagénaire ex-surréaliste et de ses aventures dans une maison de retraite s’apparentant à une secte—l’héroïne remarque le portrait peint d’une nonne vaguement espagnole, qui semble la regarder et lui faire un clin d’œil. Ce regard mystérieux suffit pour que l’imagination de Marian s’envole, lui inventant un nom et des origines, tout en éprouvant des sentiments plutôt amicaux pour elle—« une femme aussi formidable qu’épouvantable », comme elle est décrite dans un livre donné à Marian par un autre personnage haut-en-couleur de la communauté.

Le regard est tout aussi important dans « Espaces d’espèces », l’exposition de Laurence Broydé à l’Atelier Alain Lebras2. Les yeux y sont omniprésents ; ils sont multiples, inhérents aux Sculptures à porter réalisées au crochet. Ainsi, nous rencontrons Visio, Rainbow, Argos, Le Troisième Œil, Fireman, (toutes de 2017) dans un environnement qui ressemble à une scène de théâtre ; nous nous retrouvons vraisemblablement dans leur habitat naturel, elles nous font miroir et nous renvoient à notre propre présence—d’observateurs en observation. Nous nous retrouvons parmi ces sculptures- totems, perchées sur leurs piédestaux, attendant qu’un événement encore inconnu se déroule…

Les figures de Broydé suggèrent l’immanence—un fil qui se tisserait continuellement sur lui-même, encore et encore, telle une pensée indisciplinée. Les nombreux nœuds fibreux qui forment la base de ces sculptures varient en couleur et se fondent ensemble pour créer du volume, des liens à la fois flexible et solides ; ils dressent des formes et des mouvements changeants. Comme leur titre l’indique, ces formes souples conçues pour être portées détiennent un potentiel d’interaction (elles sont exposées ici pour la première fois sur des socles, ayant précédemment été portées dans le contexte de performances). Ainsi, ces sculptures à porter ont une présence hétérogène, plurielle et dérangeante – unheimlich3 ; dans le même temps, elles témoignent d’une absence.

Il y a de la transcendance, également, dans la peinture immersive (de la série Open Space) qui sert de toile de fond au groupe. Ici l’artiste prolonge l’espace d’exposition, faisant allusion à d’autres existences (l’hétérotopie de Foucault), d’autres forces, d’autres états d’esprit. Lors d’itérations précédentes des Open Spaces, elle a créé des extensions virtuelles à l’aide de peinture à l’Aérographe et de scotch, transformant des espaces transitoires—tel que des escaliers ou des couloirs—en histoires ouvertes dont le contenu sera déterminé par le public. Ces œuvres nous rappellent que les espaces liminaux comptent aussi. Ils sont ici le lieu et le décor d‘interactions transitoires ; un échange de regards, une conversation, un nu duchampien descendant, voire même une vidéo de hip-hop, comme cela a été le cas au 38 Breil à Nantes. Dans les travaux de Laurence Broydé, des éléments contrastés se réunissent ; tantôt en harmonie, tantôt en contrepoint. Ceux-ci se révèlent parfois capricieux—une langue qui émerge du centre d’une fleur—parfois réflexifs—une sorte d’écran-rideau remplaçant la mer. Une palette de couleur vibrante d’énergie se juxtapose à des thèmes issus de l’antiquité—des masques rituels, l’ici et l’au- delà, la présence d’esprits et d’êtres de l’outre monde et qui font référence à d’anciennes croyances animistes, à d’autres conceptions de l’univers. L’incertitude est aussi présente dans des traces de notre société de consommation laissées sur le sol sableux— emballages en plastiques, gobelets jetables et chewing-gum mâchés hantent l’avenir de notre planète avec pour seule garantie la promesse d’un réchauffement climatique.
Un changement de perspective, un repositionnement est souvent présent dans ces œuvres. Dans Oratoire (2022), nous pénétrons dans un espace circulaire et matriciel pour nous rapprocher d’une sculpture en état de non-usage—ou Lagerform4, pour emprunter un terme à l’artiste allemand Franz Erhardt Walther. Scala Vestibuli (2018), est une Sculpture à porter dont le socle, bas-relief en céramique, est couronné d’une volumineuse masse médusesque au crochet cramoisi et noir, portée pour la dernière fois lors d’une performance5 en 2021. Un autre de ces déplacements a lieu avec les petites fleurs crochetées et les boules de chewing-gum et des ballons en verre soufflé. Lorsque nous nous rapprochons de ces sculptures, nous découvrons que ce qui était autrefois de nature fragile et transitoire a été imprégné d’une aura beaucoup plus résistante ; tel un masque que l’on enfilerait pour devenir quelqu’un d’autre. Un pas un arrière et nous nous rendons compte que ce qui semblait être au départ un petit jardin tranquille est devenu un visage qui nous regarde, taquin.

Ce glissement a lieu à plusieurs reprises dans « Espaces d’espèces »—masques devenant sculptures et qui ressemblent à des créatures, un rideau peint devenant sculpture6. Il se produit lorsque nous nous rendons compte que les détails peints sur la surface sont en fait des protubérances sculptées qui mènent à des portails potentiels. Certains tableaux rappellent des espaces richteriens; une bougie 7 allumée qui ne cessera jamais d’illuminer des espaces obscurs. De l’autre côté de l’obscurité demeure—maintenant ou dans le futur—de la lumière. Telle la photographie d’un moment sublime ou mémorable, l’œuvre de Broydé s’empare du transitoire pour le prolonger ; comme ce que Leonora Carrington pourrait souhaiter nous transmettre quand sa protagoniste observe le portrait de la nonne—elle prolonge de fait son existence, lui créant une vie rêvée, inventée.

La contrepartie de ceci serait, qu’en tant qu’observateurs, nous serions nous-mêmes constamment observés. Jamais seuls, nous serions toujours en compagnie de nos homologues sur le plan individuel, comme sur celui de la société en tant que groupe, aujourd’hui comme dans le futur. Nos actions de ce jour sont, après tout, l’histoire en devenir. Ainsi, un spectre de possibilités s’ouvre : à nous de décider ce que nous faisons de ces Mondes potentiels.

 

Cynthia Gonzalez-Bréart

1 The Hearing Trumpet a été écrit en anglais dans le courant des années 40, puis traduit et publié pour la première fois en français.
2 L’espace de la galerie est partagée avec l’artiste Anna Picco pour l’occasion, du 3 au 29 décembre, 2022.
3 La notion de unheimlich a été exploré par Sigmund Freud (1856-1939) dans son essaie L’inquiétant étrangeté (1919) et référencie des phénomènes familiers et suffisamment déroutantes pour susciter une forte réaction psychologique auprès du sujet. Les automates, mannequins et la tête du Méduse sont parmi les exemples de unheimlich donnés dans l’essaie.
4 Lagerform est un terme utilisé par l’artiste pour indiquer une œuvre habituellement utilisée dans le contexte de performances, en situation de non-usage et montée de façon temporaire sur un piédestal. Soulignons également les travaux des artistes brésiliens Ligia Clark (1920-1988) et Helio Oiticica (1937-1980) ; tous avaient incorporé l’usage de formes souples avec le potentiel à être portées, dans des contextes performatifs pendant les années 1960. Annette Messager (b. 1943) et Faith Wilding (b. 1943) viennent également à l’esprit ; celles-ci ont intégré des techniques de travaux manuels telles que le tricot et le crochet dans leurs pratiques à partir des années 1970.
5 Sculptures to Wear in Open Space (2021) à 38 Breil, Nantes, ECART Company.
6 Voir la série de Donald Judd (1928-1994) Specific Objects (1965) qui cherchait à éviter de revisiter le terrain déjà bien exploré de la sculpture et de la peinture, s’efforçant d’esquiver toute étiquette.
7 Symbole récurrent pour le peintre allemand Gerhardt Richter (b. 1932). Voir Kerze (1982).