Les judas inversés de la Maison Radieuse, 2002

Thierry Frer

1/1
Thierry Frer, «Les judas inversés de la Maison Radieuse», 2002, photographie : droits réservés

Les judas inversés de la Maison Radieuse, 2002

La Maison Radieuse Rezé

Qui n’a jamais rêvé de jeter un oeil chez son voisin sans être vu ? De savoir ce qu’il mange, ce qu’il lit, ce qu’il fait ? A la Maison Radieuse, un immeuble Le Corbusier situé à Rezé, près de Nantes, une dizaine d’habitants se prêtent à ce jeu étrange : être observés chez eux, par des inconnus. Il leur sufit d’inverser le judas de leur porte : collez votre oeil et vous voilà voyeur. Depuis le début du mois de novembre, les cobayes de ce big brother rudimentaire livrent leur intimité aux passants, deux fois par semaine, de 17 à 20 heures. « On les voit marcher, discuter ou ne rien faire. Les appartements sont tous identiques, mais pas un ne ressemble à l’autre », explique Thierry Frer, plasticien nantais à l’origine de cette expérience inédite qui se termine le 23 décembre. Après le succès planétaire de Big Brother ou de Survivor, ces émissions « trou de serrure » où les candidats sont filmés sous toutes les coutures, voici le Corbusier Show, qui montre la vraie vie des vrais gens à la loupe. Quand elle entend des pas devant sa porte, Christine, danseuse, passe en face de la lentille. « Pour me montrer, dit-elle, pour rigoler. Je suis fière de vivre ici. Tant pis si la vaisselle n’est pas faite. » Le jeu du judas inversé a changé les habitudes des résidents matés. L’un évite de répondre nu au téléphone en sortant de la douche, une autre a mis un fauteuil années 70 dans son salon, une famille en vacances a laissé des poupées sur les chaises et une bouteille de rouge sur la table. En exhibant leur intérieur, les participants – des enseignants, architectes, musiciens ou retraités – ont voulu montrer leur attachement à la Maison Radieuse, construite dans les années 50. L’une des plus anciennes propriétaires, Martine, quarante cinq années de vie au « Corbu », était d’abord sceptique. « Je ne suis pas du genre exhibo, dit-elle. Alors, j’évite de me mettre en scène et d’être visible à ces heures-là. Mais si je prévois de rentrer tard, je n’oublie pas d’allumer la lumière en partant. »

Marie Huret.

L’Express.