Tonalités

Justin Delareux

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Justin Delareux, «Tonalités», photographie : droits réservés
Justin Delareux, «Tonalités», photographie : droits réservés
Justin Delareux, «Tonalités», photographie : droits réservés
Justin Delareux, «Tonalités», photographie : droits réservés
Justin Delareux, «Tonalités», photographie : droits réservés
Justin Delareux, «Tonalités», photographie : droits réservés
Justin Delareux, «Tonalités», photographie : droits réservés

Tonalités

Tonalités / masses-temps (extraits)

dessins à l’encre sur supports et formats variables
recherche dessinée débutée en 2010 sur papiers aux formats 50×65
puis poursuivie sur d’autres supports ( bois / toiles préparées )

« Masses-Temps. Noircir » ( © Michel Cegarra / mai 2016)

Suivons la plume. Elle dessine des circonvolutions sur le papier ( 7 ). De petits cercles qui se juxtaposent, se superposent, s’additionnent, de sorte qu’ils tissent peu à peu, inexorablement, quelque chose qui tiendrait à la fois de la tablette d’écriture et d’une fine broderie de noirs et de gris entremêlés. Les entrelacs se répètent avec régularité, tracés d’une main précise, comme un jeu ouvert, ligne à ligne, de contamination de l’espace ou de saturation.

Écrire et dessiner tout à la fois : après tout Paul Klee considérait qu’il s’agissait là de la même chose. Ecrire, dessiner mais aussi tisser des boucles pour coudre le noir au noir, pour laisser apparaître des structures à la manière des fragiles peintures de sable navajos. Et ces structures présentent des vaguelettes, tout un mouvement dispersé d’élans et de retraits, d’ondulations, où le blanc et le noir échangent leur rôle, tantôt vague ou écume, tantôt crête, lisière, chemins, dépôts de tamis, cartes inidentifiables.

Tout le fragile et patient mouvement du graphiste révèle à nouveau la franche et lumineuse simplicité d’approche de Justin Delareux, où le geste répété, impliquant le bras, les épaules, le corps entier, ouvre un espace à la fois hypnotique et comme déchargé de tout poids matériel. Un espace fluide où regarder c’est voir que l’on ne peut pas, ne peut plus lire, parce que le monde est devenu ce tissu illisible qu’il nous faut retisser pour le saisir.
L’acte créatif est, à nouveau, implication du corps et sollicitation de la pensée, automatisme corporel et méthode de méditation. Le processus, visible, est comme un acte se libérant dans le site du spectateur, mieux : un appel. Et si, parfois, nous identifions des lettres, des mots, ils semblent ne plus pouvoir remonter au jour et être emportés dans le rythme général des périples graphiques.
Vouloir lire c’est faire alors l’expérience de la désillusion, et prétendre fixer visuellement c’est se heurter au mouvement brownien des particules graphiques qui circulent à la vitesse des protons dans le LHC ( 8). Le panneau achevé se dresse comme une stèle mouvante où les écoulements graphiques, les ondulations de signes scintillent comme des constellations lointaines.

Il faut dès lors imaginer l’artiste-poète Justin Delareux comme le guetteur nocturne, un homme marchant sur les lisières du monde, à la poursuite du commun de l’expérience, de sa nécessité et de ce qu’il en reste, cherchant à témoigner et, pour cela, à s’extraire et reprendre souffle : “Le commun est ma fiction. la révolte mon spectacle. D’où suis-je déjà ? Libre/Enfermé. Maintenant je dois m’extraire. (cf. Expirer).”( 9 )

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7. “Je dessine par boucles. Une boucle concentrée fait une ligne, une boucle plus large donne une valeur de gris. Au fusain, ce sont des boucles tassées, écrasées, des boucles dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, pour remonter le temps”. Conversation avec l’artiste, 12 avril 2016. On prendra soin d’entendre remonter le temps au double sens du retour et du réassemblage, opération double par conséquent.

8. Le Large Hadron Collider : le Grand Collisionneur de Hadron, installé prés de Genève, par lequel l’existence du boson de Higgs a pu être démontrée. Justin Delareux utilise volontiers cette métaphore du LHC pour désigner l’énergie graphique, active et circulante, de ses dessins nommés Masses-Temps.

9. Cette voix poétique n’est pas sans évoquer la pensée d’Alfred Schütz, ancrée dans le monde vécu (Lebenswelt), le monde de l’expérience commune où les deux figures d’alerte sont celles de “l’étranger” et de “l’homme qui rentre au pays”. On se reportera à L’Etranger, un essai de psychologie sociale suivi de L’homme qui rentre au pays, Allia 2003, traduction de Bruce Bégout, et au puissant recueil Essais sur le monde ordinaire, éditions Le Félin, 2007

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texte complet : http://www.justindelareux.fr