Etant donné la situation nous ne changerons rien, 2019

Olivier Garraud

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Olivier Garraud, 2019, Etant donné la situation nous ne changerons rien, Petite Galerie de la Cité internationale des arts, Paris
Olivier Garraud, 2019, Etant donné la situation nous ne changerons rien, Petite Galerie de la Cité internationale des arts, Paris
Olivier Garraud, 2019, Etant donné la situation nous ne changerons rien, Petite Galerie de la Cité internationale des arts, Paris
Olivier Garraud, 2019, Etant donné la situation nous ne changerons rien, Petite Galerie de la Cité internationale des arts, Paris
Olivier Garraud, 2019, Etant donné la situation nous ne changerons rien, Petite Galerie de la Cité internationale des arts, Paris
Olivier Garraud, 2019, Etant donné la situation nous ne changerons rien, Petite Galerie de la Cité internationale des arts, Paris
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Olivier Garraud, 2019, Etant donné la situation nous ne changerons rien, Petite Galerie de la Cité internationale des arts, Paris
Olivier Garraud, 2019, Etant donné la situation nous ne changerons rien, Petite Galerie de la Cité internationale des arts, Paris

Etant donné la situation nous ne changerons rien, 2019

Petite Galerie de la Cité internationale des arts Paris 7e En résidence du 1er avril au 27 août 2019. Exposition du 9 au 31 juillet 2019. Exposition personnelle dans le cadre des résidences de la Cité internationale des arts de Paris. Partenaires de l’exposition :CEA / Association française des commissaires d’exposition, Région Pays de la Loire, Revue Point contemporain commissariat Agnès Violeau

15 dessins de la série de L’office du dessin, 2019 ainsi que l'animation L’auto-radio, 7:25, 2018.

Le titre de l’exposition est tiré de l’un des dessins grand format de la série L’Office du dessin présenté dans l’exposition.

ÉTANT DONNÉ LA SITUATION NOUS NE CHANGERONS RIEN

Dès qu’elle est proférée, la langue entre au service d’un pouvoir. (…)
Dans la langue, donc, servilité et pouvoir se confondent inéluctablement.*

À l’occasion d’une résidence à la Cité des Arts donnant lieu à une exposition, Olivier Garraud présente pour la seconde fois son travail à Paris. Intitulée Étant donné la situation nous ne changerons rien, un titre jouant sur différents registres, l’exposition regroupe une sélection d’œuvres issues de l’Office du dessin – protocole de travail dans lequel l’artiste range ses travaux réalisés au crayon posca sur papier – ainsi qu’un film d’animation. Diplômé des Beaux-Arts de Nantes, Olivier Garraud développe une pratique compilatoire centrée sur le dessin noir et blanc, figé ou animé. Le médium s’y déploie dans son potentiel transitif, plaçant la parole et le geste, dans sa temporalité, au cœur des espaces.

Au croisement de plusieurs imaginaires, le travail d’Oliver Garraud interroge les lignes de partage d’un même lieu, celui de la feuille. Collision entre de l’intimité d’un médium longtemps dit « préparatoire » et de la sphère publique, des opinions omniprésentes, le trait de l’image comme du texte plastique insuffle ici une réflexion critique sur les contradictions et les maux des sociétés urbaines. L’artiste joue avec les codes de représentations. Teinté d’un humour noir comme l’encre du posca, le travail mêle emprunts à la culture élitiste (références à la peinture de genre, à l’hypergraphie et méca-esthétique lettriste, à l’art minimal) et populaire (bande-dessinée, slogans de publicité, industrie télévisuelle et domestique, société du divertissement, iconographie du quotidien, réseaux sociaux, science-fiction etc. …). Oliver Garraud se saisit d’un outil d’action directe, le dessin critique, pour ériger une réalité, elle, de moins en moins tangible. Cet emboitement d’espace, d’iconographies et d’énoncés, dont le sens émerge souvent dans un second temps, révèle une puissante force narrative, autant qu’une économie réticulaire, (l’usage du crayon) proche du do it yourself.

L’Histoire de l’art traverse en filigrane le corpus de l’Office du dessin qu’Olivier Garraud réalise, de manière systématique, sur des fiches bristol de comptabilité. Ces feuilles quadrillées lui permettent un dessin matriciel. Hormis l’évocation nostalgique du cahier d’écolier, cette « mise au carreau » est aussi celle du dessin académique. La technique, jadis utilisée pour la composition d’œuvres de grands formats, à partir de croquis ou dessins préparatoires sur papier met en première ligne le rapport d’échelle (qui est aussi le sujet de l’un des dessins présentés), renvoie à la matérialité du médium comme à la reproductibilité sans fin d’un sujet. Olivier Garraud met en place un outil lui permettant de jouer à sa guise des proportions et registres de représentations, à partir de tracés suivant les sections des carreaux. Cette technique évoque par ailleurs à la fois la pratique du copiste, que ce temps de l’entre-deux, celui du travail dans son chantier propre au médium, ainsi qu’à l’écriture par l’image (la technique, par exemple, a sans doute été utilisée pour réaliser les dessins de Nazca).

Si le carreau de la feuille renvoie au dessin d’atelier, il est aussi celui du pixel. Dans son dessin d’animation L’auto-radio, l’artiste échafaude un monde digital sans accessoire, émotion ou changement d’action (une voiture roule face à l’horizon sous un ciel de synthèse). Il revisite à sa manière le genre de la peinture de paysage (composition horizontale, ligne de perspective, fuite du temps etc.) autant qu’une sensation cinématographique (l’infini, la route, les billboards). Autre référence, sous une facture d’apparence rapide (la technique du carreau conditionne un temps long de travail), et des messages à même rapidité de consommation, la pratique d’Olivier Garraud s’inscrit tout autant dans une filiation conceptuelle, celle du texte plastique de Lawrence Weiner ou des tautologies langagières de Joseph Kosuth. Si le quadrillage peut évoquer la grille d’un Sol Lewitt, elle est ici aussi celle de l’enferment des sociétés contemporaines. Comme si l’actualité n’avait aucune mémoire, l’Office du dessin vient définir les termes d’une rencontre à l’horizontale entre action artistique et rêve d’un monde apaisé.

Un des tropismes de notre époque réside en un usage sans tri d’internet, comme lieu de la parole publique, que cette dernière soit convoquée, commentée, déléguée, illustrée, ou source d’un savoir chimérique, mais aussi comme moteur de situations participatives pour l’individu, quel qu’il soit dans ce système horizontal. Invité au commentaire permanent, le quidam peut s’inventer sa propre légitimité, une autorité réelle ou fictive, entrer dans l’écriture de cette vaste parabole d’opinions. Le dessin est ainsi envisagé tel un motif (dans les deux sens du terme). Si le simulacre désigne une apparence qui ne renvoie à aucune réalité sous-jacente, au sens du terme grec d’eidolôn (l’image au sens de l’idole), il s’oppose à l’icône (eikôn, au sens de l’image reproduite), que l’on peut traduire par copie. La copie renvoie à l’imitation du réel, sans dissimulation. Tandis que la simulation remet elle en cause la différence du vrai et du faux, du réel et de l’imaginaire. « Le simulacre est vrai » nous dit Baudrillard : « le secret des grands politiques fut de savoir que le pouvoir n’existe pas. Qu’il n’est qu’un espace perspectif de simulation, comme le fut celui, pictural, de la Renaissance. » Convoquant une écologie riche d’autorités économiques (slogans) comme politiques (paraboles) les dessins viennent activer, telles des énoncés performatifs, une pensée dans sa mobilité. Celui qui les regarde peut prendre part à la réflexion et, ce faisant, déplacer la question de la passivité sur le terrain de l’esthétique.

La question de l’instrumentalité du langage et du trait est ici centrale. Le dessin est le lieu de la transformation, de l’entropie – en théorie de l’information le terme qualifie la quantité de données délivrée par une source. Olivier Garraud nous parle du sens perdu, de l’obsolescence accélérée de notre système de pensée. Il l’autopsie, revisite cette récente révolution post digitale, qu’il transpose dans le champ artisanal du dessin.

Dans un son essai Pourquoi travailler ? (2009), Liam Gillick définit l’artiste comme celui qui a « pris la décision spécifique d’agir dans une zone exceptionnelle ne produisant pas nécessairement quelque chose d’exceptionnel ». L’espace des dessins d’Oliver Garraud, comme celui d’internet, échappe à la gouvernance ordinaire. Ici se télescopent art contemporain et culture populaire, monde tertiaire de la fiche bristol, espace public et domesticité, pratique low-tech et langage post-médium. Formant un rhizome de signes et de formes syncrétiques, ses dessins évoquent aussi la forme des breaking news, une autorité produite tant par celui qui l’émet que par sa synthétisation. Ce sens de la formule, du storytelling traverse le travail. À l’image d’un monde aux apparences trompeuses, l’usage du crayon semble signer le constat d’échec du médium internet. Karl Kraus induisait déjà le formatage de l’information par la langue. Faut-il quitter le software pour être entendu ? Ce retour au geste et à la main s’inscrit à rebours de l’utopie progressiste relayée par des technologies se renouvelant sans cesse et de plus en plus vite, jusqu’à obsolescence.

Trouver sa place dans un village global, occuper le terrain dans ces espaces physiques et mentaux, tel pourrait être le postulat de l’exposition. Olivier Garraud se fait l’archéologue, l’archiviste d’un monde déjà périmé. Faisant entrer dans l’espace de l’art le matériel d’une sous-culture mouvante et malléable, telle une mémoire collective immédiate, l’Office du dessin semble protester contre l’oubli.

Agnès Violeau, juin 2019

Écrit à l’occasion de l’exposition d’Olivier Garraud : Étant donné la situation nous ne changerons rien. Petite Galerie – Cité internationale des arts

*Roland Barthes, Leçon inaugurale, 1977