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Olivier Garraud

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Etant donné la situation nous ne changerons rien

Etant donné la situation nous ne changerons rien, 2019Petite Galerie de la Cité internationale des arts, Paris 7e

Black atlas, les effigies fantômes

Le territoire du crayon1, le titre du célèbre ouvrage de l’écrivain Robert Walser pourrait drôlement introduire le travail plastique d’Olivier Garraud tant le dessin et les carnets y occupent une place cruciale, relevant à la fois d’une attitude comme d’une activité continuelle. S’inscrivant dans la tradition du comics américain et questionnant une certaine mythologie de l’image, les pièces de l’artiste puisent dans la veine satirique de Robert Crumb ou s’influencent de la production de David Shrigley, ainsi qu’à travers la filiation codifiée du dessin de presse et de l’univers du rock’ n roll. Plus qu’un glissement entre basse et haute culture, il est plutôt question ici d’emprunter des représentations offrant le cadavre exquis ou des jeux de renversement de l’interprétation.

Glaneur et observateur ironique de la société, Olivier Garraud revendique le rapport analogique et low tech au monde qui l’entoure comme une façon narquoise de poser son regard sur celui-ci. Volontiers grinçantes, ses productions participent du détournement généralisé de signes empruntés au réel ainsi qu’à une sphère médiatique et contemporaine. Si un tel travail s’alimente en partie par l’usage élargi du crayon, celui-ci développe prismes et compilation d’icônes par le biais de séquences animées, d’installations mixtes ou d’accrochages muraux.Tel que le ferait un Raymond Carver du début du XXI ème siècle, de par ce corpus empruntant au quotidien, c’est à travers la pose du mémorialiste involontaire que l’artiste dresse le tableau d’un zeitgeist désenchanté. Explorateur de l’inconscient collectif, Olivier Garraud amalgame les indices racontant en filigrane la société de consommation, la solitude urbaine, le branding, la religion et l’athéisme… La typographie, le slogan ou la citation constituent les prétextes à un album qui fait défiler textures et sources hétérogènes sur fond d’écroulement des idéologies. Entre idée de croyance et référence à l’« ère du soupçon », l’artiste ausculte le climat ambiant et développe un paysage absurde sur le mode d’une boîte noire qui évoquerait autant de fables à l’heure d’Internet et des décennies qui suivirent la chute du mur de Berlin. Son wall drawing planisphère où sont répertoriés les Losers et les Wieners cristallise à la fois une lecture du monde où les hégémonies géopolitiques ne tiennent qu’à une faute de frappe. Coulures apparentes et primitivistes, intitulés erronés et stratégie de l’approximation, l’esthétique délibérée de l’a peu près se conjugue au décalage des repères, comme Des poings et des pieds mettant en scène le signe des Black Panthers et d’I want you ou Babies please don’t go fabriquées en papier attrape tue mouches.

Plongeant dans les méandres de l’imaginaire occidental, Olivier Garraud s’appuie sur le registre du dérisoire et d’un domestique mutant, à l’instar d’arbres à dollars Arbre monde, loterie sacrée ou de tapis en peau de vache arborant une citation célèbre sous le mode du calembour publicitaire et décoratif. Les idées de syncrétisme et d’écosystèmes deviennent dès lors des phénomènes témoins à la façon de processus subliminaux comme sa parure indienne, ornement spectral et trouble, symbole diffus et test de Rorschach hypothétique.

Si l’artiste se défend de la critique engagée au long cours, il préfère glisser entre effets potaches et humour vache : un mauvais esprit qui va de pair avec une écriture blanche et intime qui procède par le non dit et la suggestion. Thématiques récurrentes, les cycles et les tautologies qui déraillent font agréger pêle-mêle les motifs au travers de cette logique de l’éclatement : heroïc fantasy, série B, théorie du complot ou franc-maçonnerie comme autant de fils narratifs et improbables qui font se rencontrer la pomme d’Apple, un demi-dieu artiste, les oiseaux d’Hitchcock… Reprenant les trames d’un atlas warburgien où accroches et fragments se diffusent en échos, les tracés au noir d’Olivier Garraud délivrent autant d’ombres sur papier que d’espaces célibataires, autant de lieux qui figurent l’écran de nos vies blanches. Une pratique foutraque et iconoclaste du dessin, dosée et distillée avec un humour à froid.

Fréderic Emprou

1. Robert Walser, Le territoire du crayon, Microgrammes, éditions ZOE Poche, Carouge, 2013.

Etant donné la situation nous ne changerons rien

Dès qu’elle est proférée, la langue entre au service d’un pouvoir. (…)
Dans la langue, donc, servilité et pouvoir se confondent inéluctablement.1

À l’occasion d’une résidence à la Cité des Arts donnant lieu à une exposition, Olivier Garraud présente pour la seconde fois son travail à Paris. Intitulée Étant donné la situation nous ne changerons rien, un titre jouant sur différents registres, l’exposition regroupe une sélection d’œuvres issues de l’Office du dessin – protocole de travail dans lequel l’artiste range ses travaux réalisés au crayon posca sur papier – ainsi qu’un film d’animation. Diplômé des Beaux-Arts de Nantes, Olivier Garraud développe une pratique compilatoire centrée sur le dessin noir et blanc, figé ou animé. Le médium s’y déploie dans son potentiel transitif, plaçant la parole et le geste, dans sa temporalité, au cœur des espaces.

Au croisement de plusieurs imaginaires, le travail d’Oliver Garraud interroge les lignes de partage d’un même lieu, celui de la feuille. Collision entre de l’intimité d’un médium longtemps dit « préparatoire » et de la sphère publique, des opinions omniprésentes, le trait de l’image comme du texte plastique insuffle ici une réflexion critique sur les contradictions et les maux des sociétés urbaines. L’artiste joue avec les codes de représentations. Teinté d’un humour noir comme l’encre du posca, le travail mêle emprunts à la culture élitiste (références à la peinture de genre, à l’hypergraphie et méca-esthétique lettriste, à l’art minimal) et populaire (bande-dessinée, slogans de publicité, industrie télévisuelle et domestique, société du divertissement, iconographie du quotidien, réseaux sociaux, science-fiction etc. …). Oliver Garraud se saisit d’un outil d’action directe, le dessin critique, pour ériger une réalité, elle, de moins en moins tangible. Cet emboitement d’espace, d’iconographies et d’énoncés, dont le sens émerge souvent dans un second temps, révèle une puissante force narrative, autant qu’une économie réticulaire, (l’usage du crayon) proche du do it yourself.

L’Histoire de l’art traverse en filigrane le corpus de l’Office du dessin qu’Olivier Garraud réalise, de manière systématique, sur des fiches bristol de comptabilité. Ces feuilles quadrillées lui permettent un dessin matriciel. Hormis l’évocation nostalgique du cahier d’écolier, cette « mise au carreau » est aussi celle du dessin académique. La technique, jadis utilisée pour la composition d’œuvres de grands formats, à partir de croquis ou dessins préparatoires sur papier met en première ligne le rapport d’échelle (qui est aussi le sujet de l’un des dessins présentés), renvoie à la matérialité du médium comme à la reproductibilité sans fin d’un sujet. Olivier Garraud met en place un outil lui permettant de jouer à sa guise des proportions et registres de représentations, à partir de tracés suivant les sections des carreaux. Cette technique évoque par ailleurs à la fois la pratique du copiste, que ce temps de l’entre-deux, celui du travail dans son chantier propre au médium, ainsi qu’à l’écriture par l’image (la technique, par exemple, a sans doute été utilisée pour réaliser les dessins de Nazca).

Si le carreau de la feuille renvoie au dessin d’atelier, il est aussi celui du pixel. Dans son dessin d’animation L’auto-radio, l’artiste échafaude un monde digital sans accessoire, émotion ou changement d’action (une voiture roule face à l’horizon sous un ciel de synthèse). Il revisite à sa manière le genre de la peinture de paysage (composition horizontale, ligne de perspective, fuite du temps etc.) autant qu’une sensation cinématographique (l’infini, la route, les billboards). Autre référence, sous une facture d’apparence rapide (la technique du carreau conditionne un temps long de travail), et des messages à même rapidité de consommation, la pratique d’Olivier Garraud s’inscrit tout autant dans une filiation conceptuelle, celle du texte plastique de Lawrence Weiner ou des tautologies langagières de Joseph Kosuth. Si le quadrillage peut évoquer la grille d’un Sol Lewitt, elle est ici aussi celle de l’enferment des sociétés contemporaines. Comme si l’actualité n’avait aucune mémoire, l’Office du dessin vient définir les termes d’une rencontre à l’horizontale entre action artistique et rêve d’un monde apaisé.

Un des tropismes de notre époque réside en un usage sans tri d’internet, comme lieu de la parole publique, que cette dernière soit convoquée, commentée, déléguée, illustrée, ou source d’un savoir chimérique, mais aussi comme moteur de situations participatives pour l’individu, quel qu’il soit dans ce système horizontal. Invité au commentaire permanent, le quidam peut s’inventer sa propre légitimité, une autorité réelle ou fictive, entrer dans l’écriture de cette vaste parabole d’opinions. Le dessin est ainsi envisagé tel un motif (dans les deux sens du terme). Si le simulacre désigne une apparence qui ne renvoie à aucune réalité sous-jacente, au sens du terme grec d’eidolôn (l’image au sens de l’idole), il s’oppose à l’icône (eikôn, au sens de l’image reproduite), que l’on peut traduire par copie. La copie renvoie à l’imitation du réel, sans dissimulation. Tandis que la simulation remet elle en cause la différence du vrai et du faux, du réel et de l’imaginaire. « Le simulacre est vrai » nous dit Baudrillard : « le secret des grands politiques fut de savoir que le pouvoir n’existe pas. Qu’il n’est qu’un espace perspectif de simulation, comme le fut celui, pictural, de la Renaissance. » Convoquant une écologie riche d’autorités économiques (slogans) comme politiques (paraboles) les dessins viennent activer, telles des énoncés performatifs, une pensée dans sa mobilité. Celui qui les regarde peut prendre part à la réflexion et, ce faisant, déplacer la question de la passivité sur le terrain de l’esthétique.

La question de l’instrumentalité du langage et du trait est ici centrale. Le dessin est le lieu de la transformation, de l’entropie – en théorie de l’information le terme qualifie la quantité de données délivrée par une source. Olivier Garraud nous parle du sens perdu, de l’obsolescence accélérée de notre système de pensée. Il l’autopsie, revisite cette récente révolution post digitale, qu’il transpose dans le champ artisanal du dessin.

Dans un son essai Pourquoi travailler ? (2009), Liam Gillick définit l’artiste comme celui qui a « pris la décision spécifique d’agir dans une zone exceptionnelle ne produisant pas nécessairement quelque chose d’exceptionnel ». L’espace des dessins d’Oliver Garraud, comme celui d’internet, échappe à la gouvernance ordinaire. Ici se télescopent art contemporain et culture populaire, monde tertiaire de la fiche bristol, espace public et domesticité, pratique low-tech et langage post-médium. Formant un rhizome de signes et de formes syncrétiques, ses dessins évoquent aussi la forme des breaking news, une autorité produite tant par celui qui l’émet que par sa synthétisation. Ce sens de la formule, du storytelling traverse le travail. À l’image d’un monde aux apparences trompeuses, l’usage du crayon semble signer le constat d’échec du médium internet. Karl Kraus induisait déjà le formatage de l’information par la langue. Faut-il quitter le software pour être entendu ? Ce retour au geste et à la main s’inscrit à rebours de l’utopie progressiste relayée par des technologies se renouvelant sans cesse et de plus en plus vite, jusqu’à obsolescence.

Trouver sa place dans un village global, occuper le terrain dans ces espaces physiques et mentaux, tel pourrait être le postulat de l’exposition. Olivier Garraud se fait l’archéologue, l’archiviste d’un monde déjà périmé. Faisant entrer dans l’espace de l’art le matériel d’une sous-culture mouvante et malléable, telle une mémoire collective immédiate, l’Office du dessin semble protester contre l’oubli. Agnès Violeau, juin 2019Écrit à l’occasion de l’exposition d’Olivier Garraud : Étant donné la situation nous ne changerons rien. Petite Galerie – Cité internationale des arts

Agnès Violeau, juin 2019

1. Roland Barthes, Leçon inaugurale, 1977

Quadriller le sens de la vie

Un univers noir et blanc, quadrillé, formellement délimité : enfermé dans un tel scénario, fort à parier qu’un artiste se sentirait vite prisonnier. Bien au contraire, en dessins et en mots, Olivier Garraud y déploie son imaginaire avec la plus grande liberté. Sa relation à l’espace épouse des géométries variables : du wall drawing géant au dessin en volume, du nuage de petits formats aux films d’animation, ses compositions manipulent les signes, entre le poétique et le politique.

OFFICE : But, tâche que l’on se donne à soi-même avec le sentiment d’un devoir à remplir.

DESSIN : Art de représenter des objets (ou des idées, des sensations) par des moyens graphiques.

L’OFFICE DU DESSIN

Que cache ce titre délicatement guindé et bureaucratique, L’Office du dessin ? Ce projet d’envergure, qui poursuit sa croissance depuis 2016, révèle une entreprise aux ambitions paradoxales. Dans la forme, Olivier Garraud défend une esthétique modeste, « qui n’aurait l’air de rien » : son support, la feuille quadrillée, renvoie aux dessins des cahiers d’école, de ceux qui comblent l’ennui et autorisent de petites et grandes échappées. L’artiste utilise toujours les mêmes outils, des règles, des feutres, parfois des Rotring, et il se restreint strictement au noir et au blanc.
Haut et fort, son expression graphique manifeste la pertinence de se dispenser de talent, d’arrêter de vouloir bien dessiner : une manière d’affirmer une autre voie, primitive et plus transversale, où le dessin s’échappe de l’art pour rejoindre l’économie du fanzine, l’efficience des strips synthétiques des comics ou l’ascétisme du schéma technique. De facto, le dessin d’Olivier Garraud ne pavane pas, il va à l’essentiel, en empruntant des chemins de non virtuosité, des représentations parfois maladroites, des perspectives qui n’en sont pas vraiment.
Armé de cet outil fragile, l’artiste façonne son atlas personnel, qui comptabilise aujourd’hui 150 dessins numérotés et assumés en tant qu’Office du dessin. Les enjeux de ce corpus continuellement augmenté sont encyclopédiques et philosophiques : en effet, l’Office du dessin aspire à ressaisir ce vaste lieu commun, au sens propre comme au sens figuré, qu’est le monde. Sur un mode allusif et éclaté, sans avoir l’air d’y toucher, Olivier Garraud aborde les grands enjeux idéologiques du XXe siècle et sonde la psyché humaine, le tout avec une sorte de distance mélancolique et d’humour à froid.

MOTS ET MOTIFS

Le langage joue un rôle central dans l’Office du dessin : Olivier Garraud porte une attention particulière aux mots et à leurs possibles instrumentalisations. Il cite la critique des médias avancée par le linguiste et militant américain Noam Chomsky1, et ses dessins posent souvent la question des effets des médias dans nos « démocraties de marché », intégrant des messages synthétiques, ou des légendes en forme de slogans. Tout y passe : le déterminisme social, le football, le culte de la personnalité, le consumérisme, les conspirations, Dieu…Dans l’esprit, l’Office du dessin pourrait rappeler Raymond Pettibon, pour ses dessins à l’encre noire, faussement maladroits, généralement assortis de commentaires engagés, énigmatiques et parfois violents. Chez l’artiste américain, on perçoit aussi des réminiscences grimaçantes de la bande dessinée américaine des années 1940-1950, et le désir constant de prendre pour sujet d’étude l’imaginaire collectif. S’il partage ce dernier point, Olivier Garraud choisit une tout autre esthétique graphique qui prend sa source dans le retrogaming, les écrans « Press Start », les bornes d’arcade et la Megadrive – un univers pixellisé qui répercuterait le lointain écho de la grille moderniste. Côté iconographie, certains motifs apparaissent de façon récurrente : le supermarché, la barrière, l’automobile, le salon générique des sitcoms télévisuelles…autant d’environnements qui racontent nos sociétés fragmentées et leur désenchantement palpable.

SUPER

Avec ses outils habituels, soit acrylique et Posca, répétition et persévérance,
Olivier Garraud s’est employé à couvrir l’immense mur du centre d’art de Pontmain, qui est précisément dix-sept fois plus grand que la surface d’un A4. Surmontant un bâtiment simplement formalisé par un rectangle bardé de lignes verticales vibrantes, l’enseigne SUPER s’étale impérieusement, sur fond de voie lactée ; au premier plan, le tracé au sol des emplacements de parking se dresse comme une barrière hostile. Point de présence humaine. Et pourtant, « dans un monde totalement colonisé par l’homme, le supermarché n’est-il pas devenu le gîte naturel de l’espèce ? »2

L’image s’étale comme seul horizon possible, implacable. Elle porte en elle une force froide et belliqueuse, que la simplicité du dessin semble mettre à nu. Cette image nous contemple : que voyons nous ?

NOYAU NOIR, PÉRIPHÉRIE BLANCHE

Au fil de ses différents accrochages, l’Office du dessin s’adapte au lieu : Olivier Garraud prend en compte des considérations esthétiques et sémantiques, et fonctionne à l’intuition. À Pontmain, l’ensemble des dessins se déploie en configuration dense, les plus foncés au centre et les plus clairs en périphérie. Le regard circule librement au sein de cette polyphonie dessinée, ce grand bourdonnement où la symbiose du texte et de l’image traduit la simultanéité de plusieurs niveaux de perception. Écosystème complexe, traversé d’aphorismes et de saillies graphiques, l’Office du dessin connote nos questionnements existentiels et nos croyances, cartographiant l’esprit du temps, entre empathie et causticité.

LUNETTES 2D

Comme un dessin qui aurait suffisamment gonflé pour devenir volume, la sculpture Conspiracies don’t exist arbore un statut incertain, entre accessoire surdimensionné à l’échelle d’une enseigne de magasin, et objet flottant, presque virtuel, conservant ses qualités d’épure graphique. Instrument de vision oblitérée, cette paire de lunettes
rend hommage à They Live (Invasion Los Angeles) de John Carpenter. Sorti en 1988, le film met en scène une paire de lunettes qui permet de voir le monde tel qu’il est vraiment, tandis que les extraterrestres dominent la population grâce à des messages subliminaux qu’ils répandent dans les publicités, les magazines, à la télévision… Olivier Garraud se réapproprie cette critique violente des années Reagan, et questionne son actualité à l’ère du soupçon. En 2018, aurions-nous encore besoin de lunettes dénonçant les conspirations ?

ÊTRE SUPRÊME

À l’étage du centre d’art, deux animations mettent en mouvement l’univers graphique d’Olivier Garraud. Sans surprise, l’esthétique retrogaming joue à fond : l’artiste conçoit des dessins animés primitifs, volontairement courts, qui entretiennent des parentés certaines avec le GIF animé ou l’économiseur d’écran. La gestion du texte rappelle celui des vieilles consoles, ou parodie les sous-titres anglais des productions cinéma. Tous les bruitages sont réalisés à l’ancienne, parfois aussi simplement qu’en enfonçant un poing dans un bol de riz.
La première animation s’intitule Demi-Artiste, et date de 2015 : dans la mythologie grecque, un demi-dieu est un être immortel participant de la nature des dieux. Mais qu’est-ce qu’un demi-artiste ? Avec humour et effets hollywoodiens garantis, Olivier Garraud questionne la survivance des icones et des références religieuses dans notre société du spectacle, qui consacre les artistes au même titre que les saints.
Du fan au fanatique, pourquoi ce viscéral besoin d’admiration ?
Deuxième animation diffusée, L’Athée met en scène un chien avec une tête d’homme qui parcourt de nuit un paysage linéaire, rappelant les jeux vidéos avec scroll horizontal. Dans cet environnement, les enseignes lumineuses se succèdent (Super, Néant, Bioman et Imaginary friend center), sans que le personnage chimère ne s’en soucie ou ralentisse sa marche. Livré à son monologue intérieur qui s’affiche à l’écran, il se bat mentalement avec l’idée d’avoir ou pas un ami imaginaire. Au fil des images, sa réflexion s’affine sans pour autant se muer en jugement, alors que le titre de l’animation nous renseigne sur le fondement de cette pensée beckettienne : comment, en étant athée, pourrait-on aller jusqu’à dire qu’il faut absolument l’être ?

Texte écrit à l’occasion de l’exposition des résidences d’artistes 2018 du Centre D’art Contemporain de Pontmain.

Eva Prouteau

1. Notamment, La Fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie, avec Edward Herman, Agone, 2008
2. Bernard Maris, Houellebecq économiste, éd. Flammarion, 2014, p. 84.

Chroniques
Toute alternative serait utopique, merci de ne rien tenter, extrait de la série L’office du dessin n°106, production Zebra3, 3m x 2m10, bois, structure acier, 2021