La prise des corps, 2002

Laurent Moriceau

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Extrait de la performance réalisé à l'occasion de l'inauguration de l'exposition La prise des corps. Remerciements à Annie Lam et Christophe Beaulieu.
Laurent Moriceau, Micha Deridder, «La prise des corps», 2002, L'Imagerie, Lannion, photographie : Laurent Moriceau, Micha Derrider
Laurent Moriceau, Micha Deridder, «La prise des corps», 2002, L'Imagerie, Lannion, photographie : Laurent Moriceau, Micha Derrider
Laurent Moriceau, Micha Deridder, «La prise des corps», 2002, L'Imagerie, Lannion, photographie : Laurent Moriceau, Micha Derrider
Laurent Moriceau, Micha Deridder, «La prise des corps», 2002, L'Imagerie, Lannion, photographie : Laurent Moriceau, Micha Derrider
Laurent Moriceau, Micha Deridder, «La prise des corps», 2002, L'Imagerie, Lannion, photographie : Laurent Moriceau, Micha Derrider
Laurent Moriceau, Micha Deridder, «La prise des corps», 2002, L'Imagerie, Lannion, photographie : Laurent Moriceau, Micha Derrider

La prise des corps, 2002

Laurent Moriceau, Micha Deridder (Le projet des Perméables #5), L'Imagerie, Lannion

Création musicale et interprétation : Carine Lécuyer et John Morin. Modèles : Annie Lam et Christophe Beaulieu.

La prise des corps

De la prise de vues à la prise des corps. Des corps qui appellent le regard, mais aussi l’envie qui les change. Lorsque Laurent Moriceau présente sa « chambre éphémère », dispositif conçu sous lumière inactinique1, il invite chaque fois d’autres créateurs afin que ceux-ci s’approprient l’espace qu’il propose. « Le perméable » de 1995 accueillait déjà la présence d’une collaboratrice artiste. Plus tard, il fera appel au styliste Elian Lille, puis à d’autres. Il organise des boutiques de confection vestimentaire, des défilés. Récemment, au Japon, il sollicite les visiteurs à prendre des bains de lumière rouge. Pour cette exposition Micha Derrider est l’artiste styliste venue initier des baigneurs envoûtés par la lumière rouge.

Dans le laboratoire du photographe, naissent les images. Toujours le même trouble envahit celui qui s’isole, en attente d’une apparition improbable. Et pourtant celle-ci se précise bientôt, et le vertige nous monte à la tête, l’oeil glisse au bord de ce qui peut encore apparaître comme une énigme, le désir de voir vous projette vers un non-lieu, l’image s’impose selon le temps que vous lui accordez. La lumière fixe un paysage, un corps qui se dérobent toujours. De ces étranges mouvements, souvent répétitifs, secrets, Laurent Moriceau en déplace l’ordre, il revient sur le corps, laissant entendre qu’il est possible que nous assistions malgré tout à une révélation, chimique et symbolique, que le suspens est vivant.

En concevant des éléments pour un bain contre nature, Micha Derrider s’est également intéressée au corps, celui que l’on montre et l’on cache, dont on est fier ou qui tourmente. Auparavant elle a questionné la norme, mais aussi l’espace intime, rompant avec les règles du casting, et les valeurs admises. Aux antipodes du défilé de mode, « ses actions » impliquent toujours le visiteur, celui qui regarde ou celui qui accepte la participation. Elle a créé des vêtements doubles, conçu des cabines d’essayage, envisagé l’accès au vêtement au travers de performances, imaginé un abécédaire, utilisé des matériaux à manger… Dans une récente exposition, elle proposait « Transformez votre corps pour un jour ». Pour celui qui acceptait cette invitation, son corps se transformait par l’ajout de ballons, provoquant des ambiguïtés dérogeant aux lois de l’esthétique. La relation à l’enfance est constante. Notre corps le plus souvent nous échappe, et Micha Derrider nous le restitue, avec malice. La matière photosensible dont elle se sert rend visible et tactile cette fragile repossession.

Sortir le vêtement de l’impasse, comme pour la photographie, c’est réinjecter du vivant là où le corps est labellisé, glacé, démembré. Sans violence, ce que capte cet espace flottant de lumière rouge est un regard, une caresse, une ombre. Les frontières se déplacent, nous ne reconnaissons plus dans nos orientations, notre lieu est un passage. Notre image ne s’inverse plus, nous regardons l’autre, nos mouvements se raréfient, nous fabriquons d’autres images.

Dans cette boîte crânienne qu’est la chambre noire, nous devons rester vigilants. En effet, nous le savons, il suffira d’une allumette ou de la lumière d’un briquet pour déchiqueter en un instant ce qui vient à nous, ou sur nous. Comme une promesse.

Pierre Giquel

1 Sans action. Lumière qui préserve le papier photographique de l’insolation.