Éva, Éva, 1996-1997

Laurent Moriceau

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Laurent Moriceau, «Éva, Éva», 1996-1997, photographie : droits réservés
Laurent Moriceau, «Éva, Éva», 1996-1997, photographie : droits réservés
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Laurent Moriceau, «Edition Éva, éva», 1998, conception graphique : Jean-Marc Ballée. Textes : Éva Prouteau, Éva Garcia Collado, Laurent Moriceau. Édition de la RN7 Parc St-Léger – Centre d’Art contemporain, Pougues-Les-Eaux. 
ISBN : 2-909043-26-7-BR.
Laurent Moriceau, «Édition Éva, Éva», 1998, conception graphique : Jean-Marc Ballée. Textes : Éva Prouteau, Éva Garcia Collado, Laurent Moriceau. Édition de la RN7 Parc St-Léger – Centre d’Art contemporain, Pougues-Les-Eaux. 
ISBN : 2-909043-26-7-BR.
Laurent Moriceau, «Édition Éva, Éva», 1998, conception graphique : Jean-Marc Ballée. Textes : Éva Prouteau, Éva Garcia Collado, Laurent Moriceau. Édition de la RN7 Parc St-Léger – Centre d’Art contemporain, Pougues-Les-Eaux. 
ISBN : 2-909043-26-7-BR.
Laurent Moriceau, «Édition Éva, Éva», 1998, conception graphique : Jean-Marc Ballée. Textes : Éva Prouteau, Éva Garcia Collado, Laurent Moriceau. Édition de la RN7 Parc St-Léger – Centre d’Art contemporain, Pougues-Les-Eaux. 
ISBN : 2-909043-26-7-BR.
Laurent Moriceau, «Édition Éva, Éva», 1998, conception graphique : Jean-Marc Ballée. Textes : Éva Prouteau, Éva Garcia Collado, Laurent Moriceau. Édition de la RN7 Parc St-Léger – Centre d’Art contemporain, Pougues-Les-Eaux. 
ISBN : 2-909043-26-7-BR.
Laurent Moriceau, «Cadeau de fantasme, revue 02, janvier 1998»

Éva, Éva, 1996-1997

Éva, Éva explore le désir de l’absorption amoureuse d’une personne aimée.

Éva,Éva est une oeuvre développée en plusieurs temps :

La première étape de l’œuvre est une action au cours de laquelle l’artiste a mesuré le volume du corps de son amie (Éva) en l’immergeant dans une baignoire, chez une complice (Éva). Cette action très intime a été suivie d’une deuxième étape : une fête au cours de laquelle les invités de l’artiste ont bu l’équivalent du volume du corps d’Éva en vin pétillant (Vouvray).

Éva,Éva est une oeuvre destinée à l’appropriation :

La troisième étape a été réalisée la première fois en 1999 dans le village de Talairan dans les Corbières. Jean-Pierre et Annie Mazard se sont appropriés Éva, Éva pour donner naissance aux Festivités de Marie-Pierre (production Frac Languedoc Roussillon). Une deuxième appropriation du travail à eu lieu à l’occasion du festival de performance East Europe Zone en 1999 à Timisoara en Roumanie. Cette étape du travail intitulé Demeter Andrãs a été proposé par Diana Ticleanu et a pris la forme d’une édition de bouteilles de vin.

La dernière appropriation d’Éva, Éva a eu lieu à l’occasion de l’exposition Ici on peut toucher au TNB à Rennes en 2000. Le soir du vernissage les trois commissaires de l’exposition (Paule Géry, Anne-Virginie Maranzana et Julie Minault) ont réactivé le projet à travers trois réalisations intitulées Offre-moi ta bouche.

 

Article de Pierre Giquel publié dans Ouest France le 18-19 octobre 1997

Éloigné des cimaises, l’art d’aujourd’hui n’a de cesse d’inventer de nouvelles procédures. Ces approches, aussi peu convenues, se font sur le mode de l’échange, de la rencontre. Aucun carton officiel mais une petite feuille qui se donne de la main à la main. Un rendez-vous, presque clandestin.
Tel était le cas de la proposition de Laurent Moriceau qui dimanche dernier, recevait une centaine de personnes autour d’une table dans la cour de son immeuble du quartier Saint-Clément. Titre de l’invitation « Éva, Éva ».
Déjà présentée sous forme de photographies et de textes à l’ARC, musée d’art moderne de la ville de Paris, dans le cadre d’une exposition collective intitulée « Instants donnés », cette pièce ainsi connu son prolongement. « Éva, Éva », c’est une proposition qui est née du corps mesuré en litres d’une femme aimée et que l’artiste au tout début a eu l’idée de boire.
Dimanche, la table dressée contenait ainsi du vin champagnisé, l’équivalent de ce corps, soit 500 coupes occupant avec une belle étrangeté une table. Le vin se prête à beaucoup de figures. Ici, l’enchantement a décidément opéré.
La mythologie nous offre des scènes inépuisables, là où Bacchus régnait en maître incontesté. « J’aimerais pour ma part que mon geste rejoigne ces temps très anciens où le païen côtoyait le sacré, l’humour, le rituel. La persistance de ces rituels m’étonne toujours, comme quelque chose d’irrationnel et nécessaire. »
Aujourd’hui Laurent Moriceau souhaite qu’un village intègre son invitation, un dimanche durant l’été, dans le pays du vin.  A bon entendeur (et buveur), salut. P.G.

 

Éva, Éva. Journal d’un figurant

Dimanche 12 octobre 1997. Tout commence par une histoire d’amour ramenée à une simple équation : soit le corps d’une femme (Eva) plongé dans H2O, chez une tierce personne (Eva).

Le dispositif de la soirée paraît relever d’une succession d’imprévus. Un fil électrique relie entre elles les voix des trois protagonistes, diffusées sur des magnétophones dans l’appartement de Laurent Moriceau. Elles tissent la trame d’une histoire qui s’écrit à nouveau dans la cour. La baignoire où se rafraîchissent les bouteilles semble aussi être descendue par hasard.

Vue d’en haut, chacun passe pour le figurant d’une partition blanche. On ne prend conscience de son rôle qu’en racontant la soirée une première fois, vécue d’en bas. Personne ne saurait en donner une vision synthétique. Une œuvre, ou le public, déliquescent(e). Certains partent plus tôt. D’autres restent, c’est le Vouvray qui les emporte.

Sur le plan visuel, l’ensemble revêt un aspect clair, transparent, lumineux. La surface des disques formée par les quelque cinq cents coupes pleines à ras, alignées à touche-touche, reflète les bâtiments et l’arbre au centre de la cour. On dirait l’ensemble dessiné à l’emporte-pièce dans des miroirs dorés, le revival éphémère d’une œuvre op-art (avant de les boire).

On s’informe discrètement du poids d’Eva : le nombre de litres à absorber. La multitude de verres vides puis pleins, puis vides, trace au fur et à mesure au centre de la table de nouveau territoires, une île en négatif dont le liquide constitue la surface. Autour le monde afflue et échange. Les amateurs (d’art) sont bientôt forcés de tendre le bras de la périphérie vers le centre, comme si les dernières gorgées (les extrémités d’Eva) se méritaient. La lie avant la suite. La rencontre initiale (Laurent et ses deux Eva) ne devient que le prétexte de notre réunion, elle participe d’un cycle. Nous ne faisons que répéter le prochain Eva, Eva qui réunira à l’échelle d’un village, plusieurs centaines de complices.

Boire le corps de quelqu’un, la transsubstantiation, il m’avait déjà semblé avoir oublié cela. Rite de passage. Fête impie. Discours profane.

Au vernissage de l’exposition du Vide d’Yves Klein, chez Iris Clert (28 avril 1958), le rituel est aussi poussé à son comble (timbre bleu sur le carton d’invitation, gardes républicains à l’entrée de la galerie, absence visible de tableaux, livre d’or…). On sert aux visiteurs un cocktail bleu. De retour chez eux, ils urinent bleu.

Autour de la table, l’objet de la soirée pourrait être d’arrondir les angles, rendre les fantasmes de l’ordre du possible, déboucher sur une réaction, un précipité pour revenir à la chimie. C’est comme si nous étions téléguidés avec beaucoup de tact. Sans jamais diriger, Laurent Moriceau construit des relations et mesure qui saura devenir le personnage inattendu de sa propre histoire. Il me rappelle Antoine Doinel (dans Domicile conjugal) ou Bertrand Morane (Charles Denner dans L’homme qui aimait les femmes), qui ont en commun une allure discrète et le goût des conquêtes. Par ailleurs ils télécommandent dans le cadre de leur profession des modèles réduits (le premier des bateaux, le second des avions), mais sans doute cela n’a-t-il aucun rapport.

Il est difficile d’imaginer ce que Laurent Moriceau prémédite, de la part que son œuvre, comme on dirait d’un crime, laisse aux mains du hasard. Il semble se satisfaire de toutes les situations, ne pas savoir ce qu’il attend pour se rendre disponible à ce qui arrive… Il fixe le lieu d’une réunion sans ordre du jour, propice à toutes les histoires. En fait, la soirée était réussie à partir du moment où trois personnes répondaient à son invitation, comme la règle qui veut qu’au théâtre il y ait au moins autant de personnes dans la salle que sur scène. Peter Handke a écrit pour le théâtre un spectacle intitulé L’Heure où nous ne savions rien l’un de l’autre. Il s’agit d’indications scéniques, celles que l’auteur intercale généralement entre les dialogues, ici absents. Des personnages traversent presque en continu l’espace d’une place, dans des attitudes plus ou moins précises. Sans qu’il y ait aucune hiérarchie entre eux – tous sont figurants – Handke désigne par son utilisation de l’article défini ou indéfini, le degré d’exactitude qu’il a de la vision du personnage, qui sera aussi celle du spectateur. La dédicace du livre indique par ailleurs « Pour S. (et par exemple la place devant le centre commercial du Mail sur le plateau de Vélizy) ». On peut facilement imaginer que la discussion naissant entre les comédiens et un metteur en scène autour de l’interprétation à donner de chacune des attitudes puisse fournir l’argument d’une pièce en soi.

De mémoire, Éva, Éva est la première exposition dont je sois rentré saoul. C’est peut-être qu’il ne s’agissait pas d’une exposition. Tout ce qui pourra s’écrire aujourd’hui ne fait qu’augmenter le nombre des convives la fois prochaine.

Pierre Leguillon

Texte publié dans le n°55 de la revue 303, no 55, 4e trimestre 1997.